• Ping pong

     

    Ping-pong

     

     

     

    Je n’ai pas toujours été l’invisible dans ce renfoncement.de la rue Victor Hugo.  Vous passez sans vouloir me dévisager. Hier j’étais vous ! . Vous tremblez d’être moi demain. J’étais fringant, bien dans ma peau, insouciant, futile. Depuis ! …Mais avant !

     

    Tous les matins je passais en voiture devant l’école de la placette du couvent pour me rendre à mon travail. Cinquante mètres plus loin je garais ma belle décapotable à la place qui m’était réservée devant l’entreprise.

    Après cela je passais dire bonjour aux dames des archives et leur apportait les croissants pour le café. Ne pensez à de la futilité cet instant était essentiel. En cinq minutes j’avais pris la température de la conjoncture. Discrètement je regardais la pile de dossiers prêts à partir dans les services ce qui me permettait de ne jamais être pris au dépourvu. Et aussi y avais la belle Lydia, secrétaire du grand directeur. Elle me murmurait quelques tuyaux dans l’ascenseur. Je la récompensais de ces menus services par des promenades en auto. Elle s’occupait de son frère, enfant de la dernière chance il grandissait entre des parents vieillots. Il était convenu qu’une semaine visite d’un parc d’attractions, une semaine fréquentation d’un musée. A ce jeu le petit avait pris un verni artistique qui troublait ses professeurs.

    D’un commun accord la date des fiançailles était fixée au jour où monsieur Papillon, directeur de mon service me céderait son poste en prenant une retraite méritée. Je croisais les doigts…

    Arrivé à mon étage coté droit, Monsieur Bellot avec son petit complet bleu-pétrole des années soixante. Monsieur Bellot et ses petites lunettes métalliques, (le modèle que la sécurité sociale rembourse intégralement) Monsieur Bellot et les quatre portraits sur son bureau : Madame et Monsieur Bellot en habits de mariés. Madame, robe de dentelle blanche, monsieur costume sombre et œillet à la boutonnière. Suivait le portrait d’Hortense à cinq ans, de maxime sur les genoux de sa marraine. Le dernier cliché, était orné d’un crêpe noir La famille Bellot avait eu un gros chagrin.

    Je m’encadrais devant sa porte et presque au garde à vous, je disais d’une voix forte qui portait loin :  « Mes respects Monsieur Bellot et bonne journée »Puis sur un ton confident après deux pas vers le bureau « Alors Monsieur Bellot pas de petit Bellot en chantier ces jours. Monsieur Bellot rougissait jusqu’à sa calvitie précoce et marmonnait très confus : » Non ! Non mais nous espérons ! »

    Sur ce je tournais les talons cotés gauche vers mon service en esquivant un pas de majorette. Je passais devant les collègues en fredonnant :  « C’est pas pour aujourd’hui ! On verra demain ! .

    Ayant détendu l’atmosphère je pouvais me mettre sérieusement au travail.

     

    Tous les matins je passais en voiture devant l’école de la placette du couvent. Là un petit homme rondouillard accoutré d’un gilet jaune fluo à bandes réfléchissantes, armé d’un panneau rouge marqué :  « STOP », me barrait le chemin d’un air farouche pour qu’un ou deux marmots morveux et geignards trainés par une nounou africaine ou asiatique traverse la rue en trainant les pieds. Puis notre Tartarin de la circulation L’air patelin et bon enfant s’effaçait pour me laisser passer

    Au bout d’une quinzaine je n’y tiens plus et quand il me brandit sa « raquette STOP », je lui envoyais rebondir doucement une balle de Ping-pong. Surpris puis rigolard il me renvoya la balle.

     

    Notre manège durait depuis une quinzaine au grand plaisir des bambins mais, tous les bonheurs sont éphémères et les plaisanteries les plus…

    Un beau matin au lieu de me retourner la balle il l’attrapa, me la montra et la mit dans sa poche en disant d’une grosse voix : « Confisquée » Puis agitant son panneau « Circulez ! Circulez ! . »

    Ma surprise fut telle que j’en oubliais de saluer Monsieur Bellot. Je filais tout droit à mon bureau. Pas de pantomime ! Un collègue vint me demander si tout allait bien ? « Oui ! Pourquoi ? » Mon apathie dura toute la semaine.

     

    Le matin je passais en voiture devant l’école de la placette du couvent. Tartarin agitait ostensiblement sa raquette dans une invite muette à une balle qui ne venait pas. J’aurais pu aller en acheter une douzaine au magasin du coin, mais cela eut été jouer « petit bras ». Plus je me creusais la tête moins j’avais d’idée.

    Le samedi Lydia me trouva une petite mine .Nous partîmes sur les routes de l’Ain à l’aventure.des panneaux signalaient la basilique du bon curé d’Ars.

    ─ Ah ! non !On a visité le musée des alambics la semaine passée. Le frérot protestait avec la même fougue que sa sœur. La route devenait monotone. A droite des étangs peuplés de cormorans. A gauche des cormorans sur des étangs. C’est cela les Dombes. C’est aussi foultitude de bons restaurants servant des fricassées de grenouilles ou des fritures de petits poissons croustillants. C’est aussi au passage la patrie des « Ventres jaunes »(Les volailles et par extension les autochtones. )

    Le petit génie qui n’avait pas sa langue en R.T.T. vit sur la droite un enchanteur panneau : « Le parc aux oiseaux ! Plus de cent espèces des plus rares. Visitez aussi son musée »

    ─ Hé bien ! Voila une visite intéressante. On a le musée et le parc. Le petit ange jubilait.

    ─ Va pour le parc aux oiseaux.

    Les paons on connaissait. Les oies aussi les fêtes de fin d’année. On ne les imaginait pas aussi remuantes. Des oiseaux on en a vu, des blancs, des noirs et même, des en couleurs. Je suivais le groupe de visiteurs mi-intéressé mi-désabusé soudain ! Une magnifique balle de ping-pong sur un fin matelas de duvets gris …

     

    Le lundi matin je passais en voiture devant l’école de la placette du couvent et, quand Tartarin me brandit son panneau « STOP », J’expédiais fort adroitement un œuf d’un blanc immaculé sur la raquette. En criant « Service ».

    La coquille se fracassa sur la palette. Le blanc coula en premier puis le jaune se rependit telle une marée noire sur les côtes bretonnes, inexorablement sur les baskets du préposé vacataire affecté à la circulation devant les bâtiments scolaires.

    J’avais repris la main ! Et savourais subrepticement mon triomphe. .Je sortis une plaisanterie un brin grivoise à Monsieur Bellot qui, du fait, laissa tomber son stylo dans le corbeille à papiers. Je traversais le bureau en exécutant une mambo brésilienne digne d’un carnaval ou d’une gay-Pride (les amateurs choisiront).

    A dix heures, Monsieur Papillon, tout sourire s’encadra dans la porte de mon bureau. Il m’avait réservé mon ensorcelante décapotable pour aller au siège .Il se sentait rajeunir au volant. Et puis il n’y avait pas de siège bébé comme dans sa berline

    A onze heures le portier ramena mes clefs. Il les laissa tomber dans ma tasse de thé .Il était suivi du comptable en me déposant ma feuille de paye et mon chèque, il me fit savoir que je pouvais à l’instant cesser mes activités dans l’établissement.

     

    Quand je repris ma voiture, je compris : Tartarin avait soigneusement remplacé la mousse de mon coussin par des œufs !


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