• Bourgeoisie quand tu nous tiens

    Bourgeoisie quand tu nous tiens 

     

     

    Arrivé au deuxième étage d’une bâtisse du grand siècle Lyonnais, dans le quartier d’Ainay, je sonne.  Georges ouvre la porte et s’esquive en me criant.

    — Je n’ai pas fini de me préparer.

     J’avance prudemment ne sachant si je vais rencontrer une dame en petite tenue ou un invité surprise. Marcelle passe la tête dans l’entrebâillement de la porte de sa chambre.

    — Je ne sais pas quoi me mettre.

    — Prends la même tenue que pour le bal des architectes.

    — Oh non pas la robe bleue je fais tarte là-dedans. Viens me conseiller.

    —Isabelle serait plus indiquée pour ce genre d’assistance, elle ne va pas tarder.

    — Pas sûr qu’elle vienne. À la dernière minute elle peut nous faire faux bon, ça lui est déjà arrivé.

    — Je t’attends au salon.

    C’est la pièce la plus sympatrique de l’appartement et on ne risque pas les surprises du genre déballage d’armoire interrompu ou préparation d’un colis pour les œuvres catholiques des polonais évincés par le régime pour déviationnisme. Du reste à part la bibliothèque qui sert d’atelier de couture pour Georges je ne connais rien de l’appartement.

    On sonne. Je vais ouvrir Françoise est là tout sourire. Elle est vêtue d’une tenue en soie rouge chamarrée d’inspiration chinoise sous un manteau en fourrure synthétique blanche. Que dire ! C’est Françoise, elle va être le sujet des conciliabules des mégères du Club des quarante ce soir et je ne me répéterai jamais assez la pensée du sage « Méfie-toi bien plus de tes amis que des vulgaires inconnus. »

    Une bonne heure plus tard les deux voitures essayent de trouver une place sur le parking. Tout le monde se rassemble dans le hall pour déposer capes et manteaux et redonner une touche de présentable à leurs vêtements.

    Ces dames font toujours en sorte d’arriver assez en retard pour que leur entrée se fasse remarquer mais assez tôt pour pouvoir jaser sur les retardataires.

    Le président Après avoir embrassé sa nièce Françoise, s’empresse de guider Marcelle et son frère à leur table eut égard pour la mémoire du père Saujon qui était une puissante personnalité occulte de la vie Lyonnaise. Au passage il donne une tape qu’il veut amicale sur l’épaule d’Isabelle tout en la couvrant d’un regard ambigu. Nous suivons le mouvement et certaines pécores se permettent de s’esclaffer discrètement au passage de la troupe.

    L’orchestre murmure un fox qui n’aurait pas détonné au salon des premières sur le Titanic. Il est concurrencé par le brouhaha de conversations courtoises.

    Françoise nous annonce assez haut qu’elle offre le champagne pour être entendue des tables voisines. On sait que son père a fait fortune dans le commerce des passementeries grâce à son atelier de Saint Etienne ce qui est une honte pour des lyonnais pur jus.

    A peine assise Marcelle souhaite danser. Je suis moralement obligé de m’exécuter. Maurice aurait bien voulu être à ma place mais je soupçonne Marcelle d’avoir voulu couper à son invitation.

     

    Nous nous laissons entrainer par le flot de danseurs qui jacassent un peu fort pour se comprendre malgré l’orchestre.

    — Trouve moi une oie blanche que je puisse croquer, que je puisse plumer, plume à plume, pour planter mes redoutables canines dans sa gorge satinée et palpitante.

    — Marcelle retient toi, de plus Madame votre mère aimerait que je te fasse passer le gout des petites filles.

    — Elle n’avait pas à me mettre en pension. Je me souviens de ces vastes dortoirs froids et sinistres et comme il était bon de se blottir près d’une timide pensionnaire. Sache que c’est le premier amour qui te texture pour la vie.

    — J’ai moi-même passé quelques années en pension et je n’allais pas dans les lits de mes petits copains.

    — Vous faisiez ça où ?

    Marcelle me roule des yeux de gourmande, devant la devanture d’un chocolatier, en attendant ma réponse.

    — Si j’avais été dans une institution religieuse nous aurions fait cela dans le confessionnal au domicile de l’absolution.

    A notre table le jeu des ressemblances bat son plein. Qui va dégoter un Marx ou un Fernandel. En même temps les regards rencontrent les regards. On nous sourit et nous les rendons avec un signe de tête entendu et feutré ou bien le regard passe sur des indésirables avec une indifférence signe de l’insignifiance du quidam.

     

    — Regarde la petite rousse à la table d’angle près de l’orchestre va la demander pour la prochaine danse j’ai envie de lui lécher les taches de rousseur qu’elle doit avoir sur ses mamelons naissants.

    — Arrête Marcelle c’est presque une gamine.

    — C’est comme cela que j’aime les croquer. J’ai envie de plumes blanches sur mon oreiller.

    La musique s’arrête et je pars à l’abordage de la frégate rousse,

    Elle danse bien pour une jeunette studieuse et lors comme ma main frôle une parcelle de peau je la sens se détourner pour éviter le contact seulement quand bon papa la regarde,

     

    Elle se prénomme Lise et à fêter dix-sept anniversaires en septembre donc elle est balance ou vierge et c’est la fille d’un petit rouquin qui tiens une papeterie dans le centre. Je lui propose de venir un instant à notre table mais elle préfère rester en famille.

    Elle a une sœur de quelques années son aînée mais celle-ci a laissé a sa cadette toute la gracilité et la fraîcheur. Je me laisse penser : De la graine de bonne sœur. Marcelle frétille

    — Alors ?

    Elle a un parfum du genre fleurs et fruits avec surement une pointe de vanille, peut être Chamade de Guerlain. Elle est Vierge dernier décan et si elle reprend l’affaire paternelle, elle vendra des cartes postales et aussi des crayons. C'est ça qu'est triste, avec ça elle a bonne mine !

    — Tu ne peux pas être sérieux une minute,

    — Te rends tu comptes que si elle se destine à être pâtissière, elle vendra des petits gâteaux, qu’elle pliera bien comme il faut, dans un joli p’tit papier blanc, entouré d'un p’tit ruban, (comme le dit la chanson)

    Et puis quoi encore.

    — Et couturière chez Paquin Elle sera sûrement une bonne biaiseuse ! (air connu)

     

    Raide sur sa chaise Françoise m'apostrophe.

    — Moi ! On ne me fait pas danser ?

    — Mais c'est pour te laisser toutes les chances de dégoter un bon parti, Un fils de notaire avec une belle cravate.

    — Marcelle s'en mêle.

    — Ou avec un gros nœud ...papillon !

    Françoise Gresac se lève et part au fond de la salle, Vaugelas la salue de plusieurs courbettes et commence un de ses discours assommant. Françoise reste polie juste ce qu'il faut puis elle doit lui expliquer qu'il faut qu'elle rejoigne sa table. Constantin Retaudy dit Vaugelas En profite pour l'accompagner sous prétexte de saluer « Monsieur Georges ».

    Je le vois arriver et m’empresse de conduire Isabelle sur la piste, La rencontre de ces deux individus s’ils venaient à se reproduire provoquerait des rejetons qui sans doute mettraient en péril la civilisation. J'imagine l’excentrique Isabelle avec le petit bourgeois courtelinesque guindé et zozoteur lors de la mise au lit le soir de leurs noces. Constantin en chemise de nuit je pouffe. Isabelle me flagelle du regard se doutant qu'elle est un peu la cause de mon hilarité.

    Le tango me sauve Isabelle voulant effectuer des figures dites argentines.

    — Pourquoi ne danse tu pas avec Maurice ?

    — Tu me vois mariée avec un petit vendeur ?

    Pourquoi pas ! Quand il ramènera une médaille des jeux olympiques.

    — Tu le vois aux jeux ?

    — Il est déjà médaille de bronze aux internationaux !

    — Quesque ça rapporte une médaille de bronze ?

    — Pas grand-chose mais avec son petit emploi, les pubs et les sponsorings il se fait à peu près les mauvais mois le double d’un préfet.

    — Pas possible mais que fait-il de tout son argent il est habillé comme un déménageur.

    — Il pense monter un club de forme. C’est les publicitaires qui l’obligent à porter leurs marques mais ce soir il est en costume de gentleman.

    — Dit plutôt qu’il est habillé comme le Gorille dans les films de série B.

    Sur ce, fin du tango et de ma corvée.

    Isabelle a eu la bonne idée d’appeler son chien Miaou miaou.

    — On a toujours l’impression que tu parles d’un chat.

    Depuis sa prime jeunesse elle désirait un chat. Quand un parent lui a offert un chien. Il était si mignon avec sa petite langue rose qui venait vous lécher la main qu’elle n’a pas pu résister.

     

    Sans passer par ma table je vais inviter Lise pour la prochaine danse. L’orchestre entame un rock

    — Je suis désolée je ne danse pas le rock.

    — Allons prendre un verre de rafraichissement au bar.

    Je l’entraine gentiment vers la buvette améliorée qui ne sert que des boissons en petites bouteilles de soda pour éviter les débordements des années souvenir de l’après-guerre où la viande saoule des anciens résistants avait affronté verbalement les soit disant collabos et planqués du régime passé. Il me vient à l’idée qu’il nous a fallu cinq républiques pour avoir toujours des députés qui présentent des lois pour la rendre meilleure et qui n’y arrivent pas bien au contraire, mais cela est une autre histoire.

    — Un Coca-cola ?

    — Non, père désapprouve.

    — Une limonade alors ?

    — Si vous voulez.

    Tout en aspirant notre breuvage au moyen d’une paille dénommée chalumeau par les académiciens. Je regarde de plus près l’ensemble que la danse ma cachait. Elle a tout pour me plaire, une constellation de pointillés de rousseur qui lui donnent un charme maléfique, des yeux d’Améthyste Verte parsemé de paillettes d’or. Deux fossettes en bas des joues lui donnent l’air de toujours sourire et des lèvres qui s’entrouvrent pour laisser passer une pointe de langue à la recherche du soda. Je lui demande.

    — A quoi vous destinez vous ?

    — J’aimerai l’enseignement. Français ou dessin, je suis un peu douée pour les deux. Il m’arrive d’écrire des poèmes que ma sœur met en musique. La famille apprécie mais l’avis de la famille est toujours teinté de partialité.

    — J’écris moi-même quelques vers mais même avec partialité ils ne sont pas formidables.

    — Que faites-vous dans la vie ?

    — Je travaille entre autre pour monsieur votre père. Je fabrique des colles. Colles d’amidon naturelles pour les écoliers et colles néoprènes pour les cordonniers. Pour le reste mes amis m’ont surnommé Séccotine j’espère que ce n’est pas pour d’autres raisons.

    — Savez-vous comment vous défaire d’un sparadrap collant ?

    — J’hésite, je ne vois pas dites toujours.

    — Il faut serrer la main du capitaine haddock.

    — Et alors ?

    — Mille sabords ! Mais c’est lui qui s’y colle.

    Son petit rire candide me dévoile une série de dents de bonne facture à la symétrie parfaite

    — Alors les amoureux ?

    C’est Marcelle qui nous rejoint.

    — Présente-moi ta conquête !

    — Je ne suis pas sa conquête il n’a pas encore ouvert les hostilités.

    — Alors permettez-moi de les ouvrir, j’admire votre corsage, mais votre jupe avec trois doigts de moins serait plus mode et mettrait en valeur le galbe de vos jambes.

    — Père est très strict sur la bienséance de l’habillement, il est exigent même pour ses vendeuses.

    — Hé bien vous resterez vieille fille ou vous jetterez votre bonnet par-dessus les moulins. On me dit un peu cannibale alors pour l’entrée en matière venez que je vous embrasse.

    Marcelle joignant le geste à la parole enserre la pauvre Lise et lui claque deux bises sonores sur les joues. Lise de surprise se laisse faire mais son corps se cambre comme la corde d’une harpe qu’on accorde exagérément.

    Marcelle s’éloigne en direction des toilettes dames c’est là son terrain de prédilection pour la chasse à la bécasse. Lise se frotte les joues.

    — Et en plus elle mouille !

    — C’est une léchouilleuse de première, les dames ont sa préférence et apparemment vous lui plaisez

    — Quelle horreur il y a trois mois j’ignorais encore la chose.

    — Mais c’est de famille son frère aime les garçons.

    — Et vous ?

    — Moi je vous aime et je n’aime que vous. Je ne jure pas mais vous pouvez me croire.

    — Il n’y a pas trois heures vous ignoriez mon existence.

    — Mais je savais que je vous rencontrerai un jour, ce jour je vais m’en souvenir toute ma vie.

    — vous charmez toujours les dames avant de les croquer.

    — Venez plutôt danser votre père va s’inquiéter.

     

    Pendant que la série de slows rendait les danseurs sentimentaux et les danseuses chatouilleuses, Françoise donne des signes de forte impatience jusqu’à renverser son verre. C’est le signal du départ. Elle n’a pas trouvé le fils de famille qui après la cérémonie à la chapelle saint Roch et le lunch au château de Valbert l’emporterait dans un wagon de l’Orient-express jusqu’à l’hôtel du Rialto de Venise.

    Agacés par la mauvaise humeur de la donzelle le groupe leva le camp en me laissant Georges pour chaperon. Pendant ce temps le petit rouquin se prépare à ramener tout son monde à la papèterie familiale. Lise m’a dit qu’ils logeaient au-dessus du magasin.

    Une fois ma belle envolée je passe à notre table pour prendre Georges mais une main se pose sur mon bras. C’est madame Médis qui me demande en me remettant un bristol.

    — Pouvez-vous me téléphoner j’aimerai vous voir dans la semaine.

    — Je n’y manquerai pas. Si je peux vous rendre service.

    — N’en doutez pas.

    George m’explique pourquoi tout le monde a plié bagages.je renonce à finir la bouteille de champagne qui en fait se révèle une atroce imitation d’une marque célèbre.et nous prenons la route de Lyon.

    — Que te voulait madame Médis ?

    — Que je pistonne son fils pour un laboratoire de chimie. L’oncle Albert a le bras long dans la profession.

     

     

    Je roule en silence jusqu’à la rue de Georges.

    — Ne nous quittons pas comme cela monte j’ai encore une bouteille d’alcool de poire du grand père.

    Je grimpe les deux étages et me retrouve dans la bibliothèque assis sur un tabouret d’essayage.

    — Nous aurions été mieux au salon.

    — Oui mais ici nous serons plus tranquilles.

    Lentement l’alcool tourbillonne dans le verre, le cristal renvoi des étincelles et je pense à ces soirées organisées par des associations bien pensantes qui réunissent une frange d’individus sélectionnés et qui ne demandent qu’à se retrouver entre eux. Tout à l’heure à la table j’avais envie de crier « Snob qui peut » mais j’aurais fait de la peine à quelques-uns que j’apprécie.

     

     Par moment des étoiles de réunissent dans le nectar et le fumet des poires williams commence à diffuser dans la pièce. Je porte la coupe à mes lèvres et aspire l’âme des senteurs enivrantes

    — Vous buvez en suisses !

    Madame mère arrive comme un fantôme et confisque mon verre.

    — Le service de ma grand-mère ou du moins ce qu’il en reste. Permettez, Robert il n’y a que vous qui savez préparer un alcool.

    — Il peut avec cinq ans de chimie, c’est lui qui fait l’alcool à son labo.

    — Vous faites de l’alcool mais c’est interdit.

    — Je ne fais que distiller les solvants qui nous servent au labo, un peu d’alcool mais surtout de l’acétone et de l’éther. En ce moment je travaille sur une colle marine que nous essayons de mettre au point.

    — Comme ce doit être intéressant.

    — Nous avons de bons résultats en laboratoire mais je réalise des essais en vrai et j’ai un contact au fort Boyard qui expose mes échantillons en atmosphère marine.

    — Mais où es ce fort Boyard ?

    — À l’embouchure de la Gironde construit sur un récif par Bonaparte puis par ses successeurs.

    Après avoir vidé un verre de poire je propose de m’en aller. Madame Josette m’interpelle :

    — Vu l’heure je ne dormirais pas ce soir. J’ai traduit au moins vingt pages d’un livre russe extraordinaire.

     — Qui est l’auteur ?

    — C’est un secret d’après mon éditeur. J’aimerai faire un tour, voulez-vous m’accompagner ?

     

    Après un quart d’heure de déambulation dans des rues encombrées des quartiers dits chauds, j’arrête ma voiture sur les quais du Rhône et nous empruntons la passerelle du collège pour accéder au centre-ville.

    Presque au milieu du Rhône elle s’accoude au parapet et me prenant la main.

    — Sentez-vous les bruits assourdis de la ville qui lambine avant de s’endormir ?

    — la fraicheur du fleuve et le flot qui se sépare sur le diamant de la pile, son mouvement, vous font penser à l’étrave d’un paquebot. Je vous embarque pour un voyage imaginaire. Nous allons remonter le fleuve jusqu’au Léman.

    — Mon bon Robert je m’ennuie profondément. Le départ de mon mari après sa maladie. Il a été emporté si soudainement, je suis une jeune veuve un peu désorienté en ce moment. J’avais pensé voir Marcelle s’intéresser à vous et prendre le chemin de la vie familiale, la voir se marier, avoir une enfant …

    — Elle peut trouver un jeune homme charmant. Moi je ne suis pas son genre.

    — Pour l’instant je mets ce projet en sommeil et j’ai pensé que vous seriez assez galant et discret pour m’accorder un peu de tendresse et d’amour. Ma couche est désespéramment froide et mon sommeil peuplé de désirs érotiques. Venez, embrassez-moi !

    — Je ne m’attendais pas à une proposition de la sorte pour vous parler vrai j’ai déjà du succès auprès de votre fils qui n’arrête pas de me regarder comme un sucre d’orge à la devanture d’un confiseur.

    — Robert ! Vous parlez trop agissez. Vous devriez déjà être en train d’arracher mes vêtements et me jeter sur votre couche.

    — Permettez-moi de vous appeler Josette. Donc Josette je consens exceptionnellement compte tenu du romantisme que se dégage du lieu, à vous faire l’amour une fois mais comme un remède.

    — Votre romantisme vient d’en prendre un sacré coup. Passez devant !

     

    Josette avait posé sur la platine le boléro de Ravel.

    — Nous en aurons pour au moins un quart d’heure !

    De là elle me pousse dans le voltaire et commence un effeuillage que n’aurait pas désapprouvé une professionnelle. Rythmée par le boléro elle enchaine des volutes lascives.

    — Détends-toi, Reste habillé.

    Effectuant des pas de deux à la Bruno Petit, elle se dirige en louvoyant et s’affale sur mon lit.

    — Reste habillé et prends moi !

    — Comme ça ?

    — Allez viole moi, remue-toi !

    — Mais je ne sais pas faire et ce n’est pas dans mes principes.

    — Tu es comme un plat de nouilles.

     

    Je n’ose imaginer ce que mes voisins ont pensé quand en pleine nuit nous sommes tombés du lit mais la sarabande s’est prolongé jusqu’à l’aube.

    Vers dix heures l’oncle Albert ne me voyant pas au labo me passe un coup de fil. A ma façon de lui répondre il me conseille de prendre ma journée.

     

     

    En début d’après-midi je retrouve la carte de madame Médis. A tout hasard je compose le numéro. C’est le grand dadais de fils qui me répond : sa mère s’est absentée.

    — Laissez-moi votre numéro elle vous rappellera !

    Boulette à ne pas faire sous peine de harcèlement futur.

    — Désolé, venant de déménager, je n’ai pas de téléphone en ce moment. Vers quelle heure puis je rappeler ?

    Essayez à dix-neuf heures.

    — Je rappellerai merci et bonjour à madame votre mère.

     

    Sur ce je me fais présentable et vais trainer autour de la papeterie de mon présumé futur beau père. Mais la chance ne me sourit pas et je n’aperçois aucune Lise dans les parages. Comme je suis dans le centre j’en profite pour fouiner sur le quai de la Saône aux étales de bouquinistes. Mais là aussi je ne trouve rien parmi les centaines de livres délaissés après une lecture hâtive certains ont des marque pages qui ne dépassent pas la moitié du volume. Quel manque de constance.

     

    Mes pas me conduisent vers Bellecour et je passe rue Jean de Tournes, quel n’est pas mon effarement de voir le Mal Assis refait en néons et formica. Pauvre Marius Guillot va s’en retourner dans sa tombe. Ce Mal Assis était le bouchon typique de Lyon et même au fin fond de Paris on en parlait.

     

    Je rentre tranquillement chez moi quand sur mon palier Josette m’attend. Ses yeux bleus lancent des éclairs.

    — Tu ne m’as pas appelé de toute la journée, pas un coup de téléphone. Je suis morte d’inquiétude.

    — Pourquoi cette inquiétude tu as eu peur que je ne survive pas à la frénésie empressée de cette nuit.

    — J’avais un grand manque de tendresse et monsieur a été apathique et cherchait à se ménager.

    — Nous avions convenu comme un remède en une seule prise.

    — Une fois seulement tu penses que ça va me guérir ?

    — Il faudra bien. J’ai ma vie à vivre et mon travail va m’obliger à me déplacer la prochaine quinzaine.

    — Hé bien tu m’emmène j’en profiterai pour corriger le style de mes traductions.

    — Mais je peux partir d’un instant à l’autre j’attends une tempête sur l’atlantique.

    — Vous plaisantez j’espère que viens faire la tempête.

    — J’ai fait construire quatre petites embarcations avec mes colles et mes vernis elles baignent dans un petit port du littoral et j’attends une tempête pour les faire fracasser sur les rochers.

    — Mais dans quel but.

    — Pour avoir un naufrage authentique avec des vraies vagues. Mes calculs théoriques ne sont en fait que des plans sur la comète. C’est de la théorie moi je veux de la pratique, du in-situ.

    — Et pourquoi les briser ?

    — pour analyser les morceaux, pour voir où ça casse et pourquoi.

    — Arrêtez vos balivernes professeur Cosinus et ouvrez votre porte vous n’allez pas me satisfaire sur le palier.

    Ben non les voisins n’apprécieraient pas qu’un jeune homme si bien comme il faut se livre au stupre et au Dixième péché majeur sur ce pallier en publique ce qui nous exposerait à cent coups de fouets chacun (Sourate 24 - Verset 2).

     

    Je n’ai pas le temps de refermer ma porte qu’elle est déjà dans ma salle de bain. Moi, vous devez déjà me connaitre un peu, en bon capitaine devant une tornade, je baisse la voile et je laisse le navire voguer à la cape en attendant la fin des événements.

     

    Elle ressort en sous-vêtements aux dentelles parme, bas noirs, bottines montantes, et sa pelisse retournée doublure bleu foncé à l’extérieur et fourrure sur la peau.

    — J’adore la sensation de la toison sur mon épiderme.

    Je reste sans voix, hier je devais la violer aujourd’hui je vais devoir dépouiller la bête.

    — Un Alcool ?

    Elle se colle à moi et d’un coup d’épaule m’envoi atterrir sur mon fauteuil.

    — Et la musique ? Trouve mois un Offenbach.

    — Je n’ai que du Wagner ! Les valkyries ?

    — Et pourquoi pas un requiem ?

    J’ai un disque des chants traditionnel russes, je ne l’ai jamais écouté, je le passe.

     

    J’avais oublié que madame traduisait du russe. Deux heures de Katinka, des yeux noirs le temps du muguet et des deux guitares. La dame avait l’âme tsigane et fredonnait les paroles de tous les chants même la bouche pleine. Je vous laisse imaginer et à trois heures du matin j’en étais à l’écouter réciter des poèmes où les R roulaient et les yeux partaient dans les plaines vastes d’une Russie étendue et nostalgique.

    En partant vers les cinq heures la dame me dit :

    — Procure-toi de la vodka pour la prochaine fois.

    — Mais il n’y aura pas de prochaine fois je ne peux renouveler ton traitement et de plus je dois me consacrer à ta fille si j’ai bonne souvenance.

    — Laisse tomber cette gourde elle va vite en avoir marre de vendre des bijoux fantaisie. Elle va se trouver un brave petit bourgeois qui sera heureux de venir poser ses charentaises rue d’ Ainay pour accéder au gotha. Nous aurons un beau mariage avec tout le tralala et surement ses anciennes partenaires comme demoiselles d’honneur. Après elle se dénichera une gourde pour assouvir ses attirances saphiques.

    — Belle mentalité.

    — C’est ce qu’on appelle des petits arrangements dans la bourgeoisie locale.

    — Pourquoi pas avec Vaugelas, Constantin pour ses intimes.

    — Mais Constantin est un beau parti. Sa parentèle possède la moitié des immeubles de Gerland et ils seraient heureux d’unir les deux familles, Tiens tu n’es pas bêta dans ton genre, c’est une idée à examiner.

    — Dommage que je ne puisse pas l’épouser, j’aurais bien besoin d’installer nos labos plus prés du centre-ville.

     

     

    Madame Médis tient à me voir ce jour et m’invite à un five o’clock pour quatre heure précise je ne fais aucune réflexion. J’enregistre le décalage le mettant sur le compte du changement d’horaire. Les Médis sont d’une très vieille famille de la région ruinée par la loi de 1948 sur le blocage des loyers. Il se dit que le père a été refaire sa vie du côté de Caracas. Il doit tenir un restaurant français avec l’aide de la cuisinière du ménage.

     

    Elle habite un dernier étage sur les quais de Saône et la vue est magnifique. L’immeuble date de Napoléon III et fait partie des luxueuses folies de la nouvelle bourgeoisie lyonnaise de l’époque. Le mobilier s’étale sur cinq générations et vaut depuis un siècle, son poids d’encaustique. Des tableaux qui feraient mourir d’envie les conservateurs des musées lyonnais aussi bien que ceux de la capitale. Le Toulouse Lautrec du salon doit valoir son pesant de caramel mou. En voyant ma surprise.  

    — Le grand père de mon mari était peintre, pendant sa période parisienne, il a très bien connu l’artiste et devait partager ses frasques, ce qui a considérablement abrégé son existence.

    — Paix à son âme.

    — Mon cher Robert, en vous voyant l’autre soir j’ai tout de suite pensé à vous pour me conseiller. Vous êtes un jeune homme charmant et dynamique et surtout discret. J’aimerai vous entretenir de l’orientation de mon grand fils.

    — Si je peux être de bon conseil ! Que fait en ce moment votre garçon ?

    — Prenons d’abord notre thé j’aime quelques viennoiseries, aimez-vous les madeleines ?

    — Si vous en avez ?

    — Ah ! Le thé ! J’adore la vertu de ce breuvage. J’éprouve d’extraordinaires sensations en moi et un plaisir délicieux qui rend les vicissitudes de la vie indifférentes. Le mélange des saveurs de la pâtisserie en symbiose aux arômes du breuvage et je suis aux anges.

    — Comme c’est curieux Proust a fait la même remarque mais en moins lyrique vous avez un talent littéraire pour dépeindre des sentiments. Je vous admire.

     

    Corsetée dans une robe de velours qui oblige sa poitrine à former une profonde vallée qui va se perdre dieu sait où du moins s’il s’y intéresse. Elle doit s’être opprimée dans une sorte de guêpière moderne faite de dentelles couleur chair et d’élastiques.

     À chaque respiration ses seins refluent un peu plus et je me demande quand…

     Elle s’affaire pour servir le thé et vient me présenter une tasse. Un parfum capiteux la précède de trois pas.

    La bordure d’une aréole dépasse lentement du tissu. Puis prenant sa tasse elle vient s’assoir tout à côté. Ma vue plonge irréparablement dans cette vallée qui ne doit pas récolter beaucoup de larmes. Pour sortir de la spirale j’attaque sur le fils.

    — Alors ! Que fait en ce moment votre garçon ? 

    — Je ne sais plus quoi faire à dix-huit ans il vient de se faire renvoyer de son école.

    Elle prend une énorme respiration qui lui fait écarquiller les yeux puis s’effondre en larmes sur qui ? Sur mon épaule. Je m’active à contenir ce gros chagrin provoqué par le rejeton dont le portrait en tennisman trône sur la commode. Le grand dadais semble plus doué pour les conneries de potache que pour les études. La robe remonte assez pour me laisser voir, à la lisière d’un bas, qu’un porte-jarretelles attire vers le haut, un centimètre prometteur de peau aguichante

    La serviette de broderies fines qui me sert à éponger les larmes commence à saturer. Le sein est presque totalement dégagé, madame Carole a de belles courbes et soudain l’aréole rose me fait envie. Je pose ma main graduellement dessus et laisse passer le bout entre mes phalanges écartées. Toute à ses larmes madame Médis ne semble pas y faire attention mais au bout d’un moment ma main s’étant faite plus lascive, Carole y prend plaisir. Ses larmes tarissent et elle pose sa tête sur mon épaule puis sortant l’autre d’une main leste :

    — Il est jaloux !

     

     

    Elle m’entraine dans sa chambre et commence à se déshabiller.

    — Et si quelqu’un vient ?

    — Guy rentrera qu’après son tennis et mon mari, ça fait cinq ans qu’il m’a quitté.

    Madame manque de tendresse et de caresse, elle présente à ma bouche toutes les surfaces qu’elle désire faire câliner.

    — Ça ne te dérange pas de faire l’amour avec une dame plus âgée que toi ?

    — Les demoiselles de mon âge, j’aurais scrupule à les déflorer et à les mettre enceintes. Je laisse la chose à leur légitime mari, de plus, je considère qu’il y a deux choses en amour : le cœur et le sexe. Si les deux coïncident c’est le bonheur, maintenant, comme avec toi ce serait plutôt le sexe qui parle.

    — Et ton cœur ?

    — Je n’ai pas à te dire si mon cœur est ailleurs mais pour l’instant il est dans tes bras.

    — Alors je vais tout faire pour que tu te souviennes de cet instant et pour corser la chose je vais te faire profiter d’un petit divertissement qui plaisait à mon mari.

    Sur ce la dame s’esquive et revient un instant après habillée en soubrette d’opérette avec un plumeau multicolore. Elle commence à épousseter certaines parties de mon individu et effectivement le résultat ne se fait pas attendre puis, elle doit me prendre pour un sorbet à la fraise je passe par le stade gourmandise.

    Moi je n’étais pas venu pour ça croyant que l’oncle Albert tenait la famille en grande estime. Je ne vais pas faire un scandale mais le temps passe et j’ai d’autres projets. Je retourne la soubrette comme une crêpe et consomme cette friandise vite fait presto. La soubrette en perd sa coiffe et mords l’oreiller pour la tranquillité des voisins puis les bras en croix au milieu du lit et le regard mouillé de reconnaissance me chuchote à l’oreille.

    — Ving-dieux que c’est bon. Le dernier qui m’a fait grimper aussi vite, il y a longtemps qu’il a oublié mon adresse.

    En fait la dame m’a fait venir aussi pour régler le sort de son dadais de tennisman.

    Ving-dieux quelle dérive !

     

     

    Rendu à la vie civile et libre de tous mouvements je m’empresse de rentrer chez moi pour prendre toutes affaires cessantes un comprimé de vitamines. Mais quelle n’est pas ma surprise de tomber sur Josette qui descend l’escalier pendant que je le monte.

    — Où était tu passé ?

    — J’ai été voir un ami.

    — Qui se parfume avec Magie Noire !

    — J’ai traversé les Galeries, j’ai dû prendre une bouffée d’échantillon.

    — Et mon œil ! Il ne peut y avoir qu’une poufiasse qui s’asperge d’effluves vulgaires. Allez monte.

     

    Dès que la porte se referme, elle me pousse dans la salle de bains.

    — À la douche, racle mois cette couenne. Je t’en foutrais du Magie Noire.

     

    Rebelote pour les chants russes mais madame a ramené une cassette socialiste et là c’est le kremlin qui sort les trompettes de la renommée

    Товарищ объединиться. 

    Je sors de la salle de bain une serviette sur les reins et le poing levé.

    — C’est le droit qu’ils dressent contre le Capitalisme. Camarade parfumé ! Et la vodka ?

    — Je n’ai pas eu le temps de faire des courses Avec toi j’ai juste eu le temps de passer à mon labo.

    J’espère que tu as récupéré, hier ce n’était pas formidable.

    — A quelle perversion va-t-on s’adonner aujourd’hui ?

    — Le supplice du pal.

    — Ah non ! Je ne joue pas à ça.

    — Idiot ! Le pal c’est toi et moi, j’endurerai le supplice.

     

     

    Après deux jours de repos avec une alimentation sur-vitaminée, je suis à mon labo avec l’oncle Albert

    — Quel est cet hurluberlu qui me fait parvenir son curriculum de ta part.

    — C’est le fils Médis.

    — Le rejeton de Carole ! Malheur j’ai mis un an à me débarrasser du père Médis Il voulait m’entrainer dans le financement d’une chaine de restaurant au Venezuela.

    — Hé bien il a monté ses restos à Caracas.

    — Après cela j’ai eu la mère délaissée qui m’a harcelé pour que je lui trouve un emploi à l’entreprise. Je l’ai refilé à mon transporteur qui en a fait surtout sa maitresse. Elle est douée en jérémiades méfie-toi qu’elle ne t’embobine pas.

    Je me dis tout bas : trop tard j’ai déjà consommé la bécasse sur canapé.

    — On pourrait prendre le fils pour un stage en entreprise de quinze jours, j’ai besoin d’aide pour briser mes braquasses.

    — Ne vas pas le noyer bien que la société devra se montrer reconnaissante si tu y arrive.

     

    Mon stagiaire après deux jours en entreprise s’était plus familiarisé avec la machine à café qu’avec l’outillage. Le matériel alimentaire ce devait être dans les gènes familiaux.

     

    Je le prends en bas de son immeuble pour une semaine à l’océan. Le petit ange doit ranger ses deux énormes valises et sa raquette à l’arrière de la camionnette de location. Je présume que c’était surement son porte bonheur quoi que c’est peut-être encore son doudou. La maman est descendue pour des adieux comme s’il partait pour l’Australie. Elle dût agiter sa main surement bien après que nous ayons tourné la rue.

     

    Que vous dire ? mon stagiaire, à la plupart des questions que je lui pose par politesse il me répond :

    — Je sais pas !

    — Pensez-vous reprendre vos études ?

    — Je sais pas !

    — Mais y a-t’ il une profession qui vous attire ?

    — Je sais pas !

    — Et le tennis ?

    La en deux heures j’apprends tout sur le cordage des raquettes, l’organisation des tournois, la fabrication des balles, et le stade de Roland Garros.

    — Roland Garros C’était un tennisman ?

    — Et que je veux, il a gagné le premier tournois de Roland Garros

    — Vous m’en apprenez des choses, je croyais que c’était un aviateur.

    — Elle est bien bonne, à son époque les avions n’existaient pas.

    — Je ne savais pas. Vous m’en apprenez des choses je devrais sortir plus souvent de mon labo. 

    — Le tennis ce n’est pas qu’une question de force, c’est d’abord une question de connaissance de savoir, d’intelligence.

    — Je vous fais confiance vous avez tout.

     

    Nous arrivons à Saint-Palais sur mer et pendant que Guy se charge de répartir nos bagages à l’hôtel je passe chez mon charpentier de marine. Je lui dépose des échantillons de colles et de vernis pour la prochaine expérience. De son côté il a réalisé un petit dériveur avec nos produits qui se comporte admirablement bien à l’école de voile. Nous passons au port l’examiner et bien que malmené par les élèves il résiste assez bien.  Je l’informe :

    — Nous avions des doutes sur les vernis.

    — J’ai immergé des planches moitié nos produits moitié concurrence haut de gamme et je ne vois pas de différence.

    Nous prenons un canot à moteur pour aller les examiner, la marée étant favorable. Arrivé sur le site du plateau de Cordouan nous relevons en vitesse les échantillons pour ne pas rester à sec avec la marée.

     

    Une mer un peu formée étant prévue pour le lendemain je prends rendez-vous pour les naufrages de mes échantillons.

    De retour à l’hôtel je trouve nos valises dans le hall. Je demande à la dame de l’accueil.

    — Le petit jeune homme ?

    — il a pris sa raquette et il est parti faire un tennis avec un anglais.

    — Déjà ! Il y a encore des estivants anglais qui jouent au tennis.

    — Non celui-là c’est un pro il a battu tous les résidents. Il faut dire qu’ici hors saison vous ne trouvez que des retraités.

    Prenant mon mal en patience je monte mon bagage dans ma chambre et fais une grosse toilette pour me défatiguer.

     

    Vers les trois heures je vois revenir mon collaborateur, excité comme pas deux, en tenue de tennisman et la raquette sur l’épaule comme un soldat au défilé du quatorze juillet.

    — Alors cet anglais ?

    — il m’a battu mais de peu. Je manque d’un bon entraineur d’après lui.

    — Formidable.

    — j’ai joué avec le 148 éme au classement.

    — Vous avez manqué une ballade en mer pour relever nos échantillons.

    — On la refera demain ?

    — Demain c’est le grand naufrage et il faudra courir sur les rochers pour récupérer les morceaux

    — Quel dommage, mon anglais m’avais invité pour un double avec des gens d’ici. On devait leur en mettre plein la vue.

    — Ce n’est que partie remise madame votre mère vous enverra ici en vacances cet été si vos résultats scolaires sont bons.

    — Alors là c’est pas demain !

     

    Nous avons engrangé tous nos bouts de bois dans la camionnette et le travail de décryptage se fera au labo. À première vue les résultats sont bons et notre dépositaire pour la région se fait fort de pouvoir mettre en vedette nos produits sur le marché dès que nous lui donnerons le feu vert.

     

    Guy, mon stagiaire s’est bien défendu sur les rochers pour récupérer nos échantillons mais où il est le plus fier c’est d’avoir battu le dernier jour son anglais. (Cet anglais quel fairplay) Pendant tout le trajet de retour j’ai droit aux explications sur les finesses du revers, du coup droit et du passing.

    — Pensez-vous pouvoir reprendre vos études ?

    — Pas dans ce bahut je suis grillé

    — Mais pour quelques peccadilles ?

    — Non ! Moi, je suis un battant c’est pour ça qu’ils m’ont viré de ma classe. Moi, je n’ai que des copains dans mon école.

    — Et les filles ?

    — Les filles, pas de problème, et c’est de plus en plus facile de nos jours elles ont le feu.

    — Ah ! Bon ?

    — C’est pas croyable mais il leur faut un copain à tout prix, beau, moche, intelligent ou con ce n’est pas le problème, il leur faut faire comme les autres, être dans le vent, faire l’affranchie. Elles font tout ce tralala pour exister.

    — Mais elles ne sont pas toutes comme ça, il y en a des sérieuses.

    — Ah ! Non il y en a des pires. Par exemple à la ville miss-sainte-nitouche c’est miss-levrette au bahut.

    — Non ? 

    — Si et pourtant, si vous écoutez le père, dans sa papèterie, qui vous la donne en exemple pour la jeunesse.

    — Ah ! Bon ? Au fait, avez-vous des nouvelles de votre père ?

    Ouf, j’ai failli louper un virage, la fille du papetier ! Miss-levrette. Et moi qui avais des scrupules lors de la soirée du Club du quarante.

     

     

    Ma boite à lettre est bourrée de prospectus c’est normal après une semaine d’absence mais l’enveloppe kraft contenant une petite culotte aux dentelles parme avec un mot qui dit : « Dés ton retour rapporte là moi. » On ne me l’avait jamais faite. J’envisage plusieurs solutions mais celle que je retiens j’en poufferai pendant longtemps.

     

    Arrivé à mon labo, je vais abuser du service expédition.

    Je rédige le mot suivant qui accompagne l’objet reçu. Je glisse le tout dans un très petit paquet que j’enveloppe dans du papier cadeau puis je recommence et comme des poupées russes les cadeaux s’emboitent jusqu’à devenir un énorme paquet.

    « J’espère que tu as chronométré le temps que tu as mis pour ouvrir ce paquet. Si tu le multiplie par le carré de la dérive alpha du cosinus Y dans une équation du troisième degré sachant que Z n’est pas égal à zéro et X est négatif, (résultat= infini) tu auras la date (en partant de demain) où je viendrai pour ce que tu sais et ce que je me doute. En ton absence J’ai rencontré Béatrice, Virginie, Élisa et sa sœur Thérèse. Toutes ces petites coquines m’ont donné un plaisir charmant tendre et réservé loin des veuves voraces, des matrones affamées, et des hétaires boulimiques.

    Ma toute belle prenez le temps de torcher votre progéniture avant de la laisser sortir dans le monde. Madame, au louable plaisir de ne plus vous revoir. »

     

    Un coursier motorisé a du mal à fixer ce paquet sur son porte-bagage. Il me demande :

    — Est-ce que c’est fragile ?

    — Pas du tout mais essayez de le livrer rapidement.

    — Faut-il attendre une réponse ?

    Surtout pas ! Vous risqueriez des représailles.

    Le brave homme part mais je sens qu’il n’est pas tranquille.

     

     

    L’oncle Albert m’invite à lui faire un compte rendu de l’opération Atlantique. Il examine les débris et à première vue semble satisfait.

    — Alors et ce stagiaire ?

    — À part pour la récupération des débris il ne m’a été d’aucun secours par contre il a brillement défendu les couleurs de la ville de Lyon sur un court de tennis auprès d’une troupe d’anglais.

    Hé bien nous ne pourrons pas dire qu’il n’a rien fait.

    — L’anglais était classé cent quarante huitième.

    — Mazette mais c’est formidable il a l’étoffe d’un champion. Remarque qu’avec un père quelconque et une mère fofolle, il a du mérite.

    — Si tu le dis.

    Je n’ai pas fini ma phrase qu’une dame me demande au téléphone. C’est Carole qui me remercie d’avoir ramené son fils en une seule pièce, de ne pas l’avoir perdu en chemin et d’avoir réussi à réveiller en lui un pool d’intérêt pour un travail. En résumé je lui sauve la vie. Comme le petit repose des fatigues du voyage elle me propose un resto mais tout simple. Quand c’est si bien demandé comment refuser.

     

    Nous atterrissons à la-poule-aillée après avoir subi des refus de restaurants où il faut impérativement réserver. La salle est clair-obscur tendue de torchons rouges à carreaux blancs. Sur le milieu de la table, une bougie qui nous fait croire qu’elle est en cire d’abeille tout en étant de paraffine teintée, fait danser les ombres dans les recoins. La décoration est paysanne, une énorme berthe à lait sert de porte parapluie, un panier d’osier rempli de paille étale son authenticité et des pots à terrines font savoir que la nourriture est terroir. La serveuse nous présente une carte de menu ornée de coquelicots et de marguerites ce qui me fait penser au poème d’un auteur régional imaginant les amours d’un coquelicot qui rougissait d’amour pour une marguerite.

    Assise face à moi la profonde vallée de sa gorge me vrille le regard. Comme nous sommes seuls et que la serveuse s’active en cuisine je me penche vers Carole et lui murmure :

    — Sors en un.

    — Un quoi ?

    — Un sein.

    — Pas ici.

    — Pourquoi pas personne n’y fait attention.

    Elle est rouge de confusion mais elle pose une main discrète sur sa poitrine et lentement met à jour un petit coquin.

    — Tu sais que l’autre est jaloux.

    — Je n’ose pas.

    — Va-y ! Tu as fait la moitié du chemin.

    Elle sort le deuxième et, du bruit se faisant en cuisine elle remballe le tout.

    — Tu me fais faire de ces choses !

    — La nuit ne fait que commencer.

    Comme elle s’absorbe dans l’étude de la carte j’improvise.

    — Alors votre grand fils ! Que vous à-il raconté de son stage ?

    — Il est revenu enchanté de la région lui qui ne connaissait que la méditerranée, il a découvert l’océan, ses marées et surtout les nombreux tennis de la région.

    — Ca pour le tennis il est doué. Je pense que vous devriez l’inscrire dans un établissement orienté sport et qu’il en fasse sa profession.

     

    Que vous dire des recettes Lyonnaises quand le chef est vietnamien ? En fait la poularde au vin jaune était très très mangeable et l’accompagnement forestier succulent.

    Moralité : Même dans un petit restaurant modeste on mange bien à Lyon.

     

    Nous allons faire quelques pas dans les rues sombres du vieux Lyon, ici la devanture d’un luthier, là l’échoppe d’un relieur, plus loin c’est la vitrine d’un imprimeur.

    — Savez-vous que depuis l’invention de l’imprimerie ce local a été occupé continuellement par des imprimeurs ?

    — Je devrais le savoir ayant fréquenté le quartier lors de mes études de chimie à La Martinière mais je vous avouerais qu’à l’époque je courais plutôt après les disquaires. C’est pour cela que mes études s’arrêtèrent quand la bise fut venue. 

    — Eh bien dansez maintenant !

    — Pour cette moquerie vous me devez un gage. Donnez-moi votre culotte.

    — Pas question. Alors je viens la prendre.

    Sitôt dit sitôt fait je retrousse la dame et descends l’objet qui atterrit dans ma poche. La dame se rajuste et nous continuons comme si de rien n’était.

    — Vous êtes content ?

    — Assez pour la garder. Je l’épinglerai au mur entre mon certificat d’études et mon brevet sportif.

    — Certains accrochent au mur des trophées de chasse, vous c’est la pêche aux grappillages de lambeaux. Petit bras ! Quand vous pourriez avoir en prime toute la garde-robe.

    — Je ne cherche pas à m’installer dans votre vie, cela ferait jaser dans les chaumières et pour le châtiment de cette réplique désobligeante passez dans l’encoignure de ce porche.

    Je retourne la donzelle face au mur et relevant sa robe comme la corole d’une fleur je dénude un fessier que la cellulite commence à envahir. Un rayon de lune donne une touche claire au sombre du recoin. J’allais fesser cette croupe quand mon regard croise le sien. Je me contente de l’effleurer d’une main douce et cajoleuse. Sa main prend ma main libre et la pose sur ce que les alpinistes appellent le mont de Vénus. Notre tête-à-tête prend de la hauteur.

     

    Je ne cherche pas à profiter de la situation et faisant mine de flairer ma main.

    —Fragrances du soir, promesse d’espoirs ?

    — Vous ce n’est même pas des promesses !

     

    Je me rappelle qu’un ami travaille dans un immeuble de bureaux sur le quartier. Quand nous passons devant j’essaye de me rappeler le code et…Ça marche. Discrètement nous grimpons les trois étages et parvenons au palier du copain. Une large baie vitrée, un peu ternie par la crasse, s’ouvre sur le parterre de toitures .La lune entre les nuages donne des plages lumineuses par instant pour cacher les misères de l’endroit.

    Nous reprenons le dialogue où nous l’avions laissé. Une copie des muses de l’opéra en plâtre m’offre son bras en porte manteau, j’y dépose ma veste et je fais suivre la robe de ma désinvolte compagne, puis du reste. Je fais tournoyer la mâtine dans la froide pâleur de la lune et au passage je caresse soit un bout de sein soit une rondeur. Puis, je la prends dans mes bras et je plaque son dos contre mon torse. D’un lent balancement je caresse ses seins puis prenant sa main droite la pose sur son sexe et pratique un lent mouvement.

    Nous avons la ville à nos pieds et une sourde rumeur monte de ses soupirs nocturnes.

    — Salopard ! C’est vachement plaisant à deux.

    — Je ne te le fais pas dire, mais le plaisir est aussi pour moi.

     

    Nos frusques retrouvées nous dévalons l’escalier pour nous heurter à la sortie à deux policiers

    — Que faisiez-vous dans cet immeuble il est inoccupé ?

    — Nous y sommes entrés pour le panorama admirable du dernier palier et sachez que je connais l’immeuble ayant travaillé dans les bureaux.

    — Excusez mais la nuit nous croisons tant de gens bizarres.

    — Mais je vous félicite, vous faites votre travail et bien de surcroît

    — C’est que nous avions vu des ombres là hauts depuis plus d’une heure.

    Qu’y a-t’ il de plus rouge qu’une pivoine pour qualifier les joues de Carole à cet instant ?

     

     

    J’organise les différents tests pour mes vernis ce matin à mon labo. Il apparait qu’une formule a dépassé toutes nos espérances. L’oncle Albert est très satisfait de mes recherches de plus nos clients ont eu vent de nos essais et deux constructeurs de voiliers se proposent de tester nos produits lors d’une course de régates.

     

    Maurice Pisanay est un brave garçon qui fait partie de notre bande depuis probablement la maternelle Nous nous relayons à l’époque pour sortir Georges des mauvais pas où il allait invariablement se fourrer. Y aurait-il eu un gouffre dans la cour de l’école qu’il s’y serait mis immanquablement. Parfois la forte carrure de Maurice ne suffisait pas pour tirer notre larmoyant ami de la meute qu’il s’était mis à dos. Les pharmaciens doivent une partie de leur fortune à Georges pour sa consommation d’arnica et de mercurochrome.

     

     Quand Maurice s’est adonné au culturisme il a bien essayé de nous entrainer dans son club de musculation. Moi je suivais en dilettante pour lui faire plaisir et Georges pour admirer les torses et les épaules musclées et moites sous l’effort.

    Nous passions quelque fois à son magasin de matériel sportif. Quand je m’intéressais aux agrès Georges s’émerveillait de la texture des vêtements de sport. À part cela nous avions tout en commun, notre quartier puis nos amours et les souvenirs de nos bons moments.

     

    Maurice avait un énorme handicap pour notre milieu. Nous étions tous des rejetons de nantis dans cet arrondissement de Lyon mais Maurice bien que né dans le quartier n’était que le fils de madame Pisanay, concierge lusitanienne serviable, sympathique et méritante mais pas de notre monde. Nous, étant enfant nous ne nous arrêtions pas à ces contingences, mais les familles accordaient bien à Maurice toutes les vertus mais pour eux il y avait des limites …

    Maurice avait tout d’abord jeté son dévolu sur Françoise peut être pas seulement pour son aisance financière mais il s’était bien vite rendu compte de l’inanité de la chose alors il essayait en vain de séduire discrètement Isabelle

     

    Après les confidences de Guy j’avais du mal à diriger mes pensées sentimentales et les idéaliser sur Miss levrette. Lise avait été mon rêve idéalisé. Mais je ne m’arrête pas à un avis et peut être que le Guy se là fait belle pour paraitre affranchi. Donc je fais comme si je ne savais rien et je vais faire un tour du côté de la papèterie.

    Je fais le chaland devant les vitrines. A tout hasard j’ai fait l’achat d’une chemise pour avoir l’air naturel et que le paquet me donne une contenance. Je remonte le chemin de la papèterie vers le lycée de la demoiselle. Soudain sue le trottoir d’en face Lise arrive entourée d’un groupe de filles. Elle me voit et me fait signe de venir.

    — Quel hasard de vous trouver en ville vous n’êtes pas dans votre labo à provoquer des explosions ?

    — D’abord il y a très peu d’explosions dans les labos et pour aujourd’hui je fais des emplettes.

    Les copines pouffent et se poussent du coude. Il s’est acheté des petites culottes !

    — Pas du tout mes demoiselles.

    Je sors du sac l’objet

    — Ouaf ! C’est pour des vieux ! Ça ne se fait plus les cols comme ça.

    C’est l’unanimité qui parle

    Il faut dire que mes amies ont raison.

    — Mais que voulez-vous un vieux célibataire, perdu au fond de son labo, entouré de doctes savants à la barbichette roussie par les explosions d’éprouvettes… Et vous oubliez les fossiles, les bocaux remplis de crapauds dans du formol et le squelette d’Oscar pendu au porte manteau.

    — Ouah ! Il y a tout ça ! On veut voir.

    — Si vous êtes sage et promettez de ne pas mélanger les produits dans les expériences. Mais ou allez-vous d’un si bon pas.

    — On voudrait se renseigner pour participer aux cheerleaders des rapaces

    — Quèsaco ?

    — Mais c’est les pom-pom-girls dans les matchs de foot américain.

    — En voilà des idées et avec toutes vos copines vous allez vous inscrire.

    — Mais non aujourd’hui nous cherchons des magasins pour les costumes.

    — Il faut aller chez mon ami Maurice il travaille dans un magasin de sport.

    — Et c’est que maintenant que vous nous en parlez !

    — C’est un truc qui n’est tout de même pas facile à placer au cours d’une conversation. Peut-être au dessert d’un repas de famille et encore faut-il que les participants soient encore lucides après un trop bon repas.

    — Au lieu de tenir des discours conduisez-nous.

     

     

    Sur ma porte d’entrée un papier est épinglé : Tout est pardonné revient. Et c’est signé la dame en parme. Quel toupet c’est elle qui provoque et c’est moi qui suis pardonné. Où va le monde !

    J’appelle Georges. C’est Marcelle qui Décroche. Georges est sorti acheter des fournitures pour un déguisement qu’il, prépare pour mardi-gras.

    — Eh bien passe-moi ta mère !

    Après une série de chuchotements indistincts et une attente de quelques instantes mesdames daigne répondre

    — Bonjour Robert comment allez-vous ?

    — Très tranquille depuis quelques jours.

    — J’aimerai vous parler en privé puis je passer vous voir ce soir ?

    — Si, vous voulez passez de suite.

    — J’ai les enfants à m’occuper mais vers dix heures.

    — Vas pour dix heures.

    — J’amènerai de la vodka pour vous faire gouter.

    C’est bon je vais me coltiner la mère Saujon pour la soirée.

     

    C’est neuf heure trente. Qui sonne à ma porte ? La Josette toujours speed sera en avance. Je vais ouvrir sans penser à regarder au judas. Hélas c’est Carole en tenue de ville pas aguicheuse et tout sourire.

    — Je passais à tout hasard et j’ai bien fait tu es chez toi.

    Je n’ai pas le temps de repousser l’huis qu’une Josette pimpante et bouillonnante s’introduit triomphante

    — J’ai quelques minutes d’avance ça ne te dérange pas ? Mais tu as de la visite ! Oh ! Je m’excuse.

    — Non, impardonnable pour une littéraire. Je m’excuse est impropre, ce n’est pas sure que ton interlocuteur veuille t’absoudre. Parfois les faits sont inexcusables et l’excuse n’est pas la formule magique qui recolle les morceaux du vase brisé. Et comme disent les joueurs de tarot « L’excuse au bon moment ».

    — Douche du soir…Josette mouille sa serviette.

    Pendant ces excuses approximatives les dames se sont installées. Josette sort les verres et nous sert de la vodka soviétique (mélange 50 kilos de patates, un sac de sciure de bois*)

    * Merci Tonton Michel Audiard pour la recette. 

    Pendant que Carole flatte les coussins du divan pour les rendre plus moelleux.

    — Eh ! Vous jouez à quoi toutes les deux ?

    — Pour une fois que je rencontre Madame Saujon.

    — Vous avez l’air de bien vous connaitre. Je présume que ce n’est pas en fréquentant les œuvres de charité.

    Josette le verre à la main virevolte en prenant des poses de starlette en mal de contrat.

    — On les a pratiquées dans le temps mais qu’est-ce que nous nous sommes ennuyées. Il y a toujours un dragon, adjudant de son état, qui veut que tout marche au mieux. Pas de fantaisie, pas d’imagination, pas de moments de décontraction. C’est triste de trier des frusques pour les pauvres dans le froid et la poussière d’un entrepôt.

    Carole regardant le délicat de ses paumes.

    — Que c’est triste de s’écorcher les mains à faire des paquets attachés avec le la ficelle de sisal qui griffe la peau.

    Josette posant ses bracelets et ses colliers de pacotille.

    — Que, c’est bon de prendre un thé ou une petite liqueur chez la comtesse de Ségur ou au bar du Tivoli

     Prenant une pose lascive Carole s’évente avec sa jupe en dévoilant des dessous magenta.

    — Ou chez un monsieur qui a tout son temps à consacrer aux dames qui viennent le saluer.

    En dégrafant le haut de sa robe Josette me fait une révérence.

    — Nous t’offrons ce soir notre compagnie.

    Carole presque pâmée sur le divan

    — Compagnie galante ! Lascive, voluptueuse, charnelle, amoureuse,

    — Excitante, caressante, frivole mais à deux.

    J’avais compris déjà depuis un moment que ces dames n’en étaient pas à leur premier coup d’essai.

    — Et si je ne marche pas ?

    Les yeux de Josette me lancent des foudres méchantes.

    — Mais nous ferons courir le bruit que tu t’intéresses aux gamines mineures que tu racole dans la rue au sortir des écoles.

    Je prends mon verre et après une gorgée de vodka.

    — Et que je distribue des bonbons aux petits garçons pour les entrainer dans les allées sombres des quartiers pauvres mais honnêtes.

    Carole opine de la tête.

    — On peut le dire aussi, plus c’est gros plus ça passe.

    D’un coup j’ai le sentiment que je vais avoir du mal à me dépêtrer de ces deux gorgones.

    — Mes dames, reprenons une attitude responsable et soyons constructifs. Vous vous êtes donné rendez-vous ici ce soir dans le but bien précis pour que nous passions tout trois un bon moment. N’allons pas gâcher ces instants par des parlotes stériles qui ne risquent que de nous fourvoyer sur des chemins cahoteux bordés de ronces acerbes. Sur le moment j’ai été assez surpris, comprenez moi, comprenez les hommes. Ils aiment avoir l’initiative en temps et en heure des hostilités si je peux m’exprimer ainsi. Bien des fois c’est les femmes qui provoquent les événements tout en laissant les hommes croire qu’ils ont eu l’initiative. Que serait Napoléon III sans la comtesse de Castiglione ?

    — Badinguet.

    — Ah ! Non ! C’est un peu court, madame ! On pouvait dire… Oh ! Dieu ! bien des choses en somme…En variant le ton…

    — Ta réplique est tirée par le bout de ton nez ?

    — Excuse-moi Carole c’est le souvenir d’un texte que m’avait fait apprendre un prof de littérature, Monsieur Beau. Pauvre homme j’ai eu l’indécence de couler de la farine dans son parapluie. J’ai fais ça à un homme qui connaissait toute la littérature française presque par cœur. 

    — C’est ce que tu baptisais faire des études ?

    — J’ai une honte rétrospective qui me coupe tous mes moyens. Je me sens faible et souillé de bêtise crasse. Laissez-moi seul je dois expier.

    À ce moment les deux furies me sautent dessus et l’une tirant, l’autre poussant, me déshabillent. Les boutons giclent sur le parquet, les manches de déchirent le tout roulé en boule atterrit sous le divan. Quelle idée géniale j’ai eu d’acheter une nouvelle chemise.

    — Tu ne vas pas t’en tirer comme ça, Carole ôte lui ses chaussures.

    Ma cravate sert à garroter mes chevilles la rallonge électrique de mon dictaphone m’entrave les poignets Adieu dentelles et froufrou ces dames se mettent à l’aise.et commencent à me consommer à terre, sur le tapis.

     

    Pour débuter Josette passe ses seins tour à tour sur mes lèvres pendant que Carole exploite au mieux la vallée mystérieuse et secrète de son buste qui n’a du décevoir aucun de ses promeneurs.

    La suite, je peux vous dire que tout ce qui est faisable, elles me l’ont fait.

    En partant Josette après un coup d’escarpin dans mes côtes me crache au visage :

    — Souviens-toi de ma petite culotte dans ton gros colis.

    Je reste entravé sur le tapis et mon salon ressemble à un champ de foire après une émeute.

     

     

    Le président Fabien Gresac du club du quarante organise une soirée de charité pour une fillette hindoue qui a besoin d’une grosse opération chirurgicale suite à une malformation. Les invitations partent tous azimuts et des enveloppes supplémentaires nous sont adressées pour inviter des amis, entre amis. J’en parle à l’oncle Albert.

    — Laisse-moi tranquille avec tous ces clubs et associations. C’est des pompes à pognon. Ils te font croire que tu fais partie d’une élite et en fait cherchent à exploiter ton carnet d’adresses. Pour toi c’est bien, tu rencontres de la jeunesse mais pour moi j’ai fait le tour de la chose. 

    — Tu pourrais retrouver des amis.

    — Je retrouverai les cocus que j’ai fait quand leurs épouses se sont jetée à mon cou soit, pour me demander une faveur sur ordre du mari, soit par désœuvrement ou qu’elles voulaient savoir si ma moustache était excitante quand j’embrassais.

    — A ce point.

    — Tiens la Carole Médis, son mari me l’a mise dans les bras pour essayer de me faire financer sa chaine de restaurants.

    — Comme ça ?

    — Et les Gresac ! Madame Hortense née Varzay, des Varzay des forges à Saint-Chamond,. La belle mais volage Hortense à la voix si douce, qui s’est fait faire sa fille Françoise par Fabien Gresac.

    Fabien l’avait rencontrée et séduite au Broadway, le dancing du cours Lafayette. Elle était en rupture de famille et gagnait sa pitance avec un numéro de danse de l’éventail. Vêtue d’un maillot couleur chair, dans la pénombre de la scène, les spectateurs se cassaient les yeux pour distinguer si elle dansait nue.

    L’oncle Albert continue.

    — Comme je connaissais son père elle est venue, toute penaude, me demander de la marier pour éviter la réprobation de la famille et la honte aux yeux du monde. J’ai eu droit à l’offrande totale avec proposition d’essai de la marchandise avant l’achat comme chez les garagistes. Malheureusement le modèle était d’occasion et je cherchais du neuf à l’époque

    — Et ça s’est terminé comment ?

    — Le frère Gaston, petit contremaitre à Saint Etienne d’une bonne famille impécunieuse qui végétait dans une fabrique quelconque, a marié la fille et avec la dote il a acheté la fabrique de lacets et le tour a été joué.

    — Et toi ?

    — Tu me vois en train de fabriquer des lacets ?

    — Tu n’aurais rien sur les Saujon par hasard.

    — Houlà la ! Les Saujon, ça c’est du beau linge. Josette fille d’Hyacinthe Maglanovitch était employée comme boniche chez le vieux Saujon. Le veuf lui a tout légué avant de mourir rapidos. Le fils pour conserver l’héritage a marié la bonne. On dit que Marcelle serait du vieux et Georges du fils.

    — Je comprends pourquoi elle parle russe.

    — Elle est même sexuellement très communiste. Elle brillait avec son époux dans des soirées échangistes avant qu’il ne décède. Fabien Gresac organisait chez lui de petites sauteries à thème du genre carnaval à Rio ou enlèvement des Sabines. On arrivait avec son costume dans de grands sacs et Tout le monde se déguisait.

    — Ce devait être bachique.

    — Comment crois-tu que ce club des quarante a vu le jour ? Moitié bondieuseries en surface et beaucoup de sexe en profondeur. Arrivant ! Mange, bois, divertis-toi, tout le reste n’est rien ou si peu. C’est la devise fondatrice du club. Pour des raisons de bienséances elle est tenue secrète mais le Fabien était surnommé Sardanapalephalus pour les dames et les latinistes.

    Sous le prétexte de réunions préparatoires il organisait des Five o'clock au gingembre avec des petits débordements. Des concours de baisers, de strip-tease, de danse saphiques et j’en passe Ces petits intermèdes n’ont pas plus à tous les maris. 

    — Je les comprends un peu quelle entorse à la morale.

    — Pas du tout certains voulaient participer en voyeurs lubriques. De voyeurs en échangiste tout y est passé.

    — Et que fait notre président dans la vie ?

    — Président du club du quarante.

    — Et c’est un métier ?

     Au départ après le mariage d’Hortense avec son frère, Fabien a rencontré une vieille veuve à qui il prodiguait des instants de bonheur, celle–ci, après avoir versé des arrhes, lui a acheté la propriété du quarante, route du val Fleury. C’était à l’époque la campagne sur les hauteurs de Lyon. La maison avait été construite en son temps par un riche soyeux. Les héritiers l’avaient mise en vente et Gresac se l’ai faite offrir par sa douairière pour cacher leurs amours.

    — C’est comme ça qu’il devint marguiller du cercle du quarante.

    — Oui mais un marguiller prospère comme dirait Mérimée.

    Les Gresac ont fait leur beurre dans la confection de rubans et de lacets. L’arrivée des fibres synthétiques a fait exploser les possibilités de débouchés et la venue sur le marché de tresses bien plus solides que les câbles d’acier a permis à la petite entreprise familiale de prendre une envergure nationale puis européenne. A ce stade soit l’entreprise devient boulimique et rachète la concurrence soit un gros concurrent reprend la boite pour rafler d’un coup la clientèle au lieu de longues hostilités

     

    Voila pourquoi Françoise, qui était destinée à reprendre l’affaire du papa, se trouva fort dépourvue, de travail, quand son papa devint rentier en vendant son affaire.

    Une demoiselle inoccupée passerait pour paresseuse aux yeux du cercle d’amis. Françoise postula pour un poste de prof de sténo dans un cours privé et bienpensant.

    Elle fut engagée au seul vue de sa bonne mine : talons plats et jupe très correcte. Le serre-tête finissait l’uniforme.

    Comme on le sait la sténographie avait fait le bonheur des filles de la bourgeoisie de la troisième république. La sténotypie ferait la joie de la quatrième république quand la cinquième république pointa son nez il n’était pas besoin d’être devin pour se douter que tout ce qui était sténo serait vite renvoyé au musée des oubliettes par une nouvelle invention, atomique comme le siècle.

    Donc nous retrouvons notre petite Françoise imbue de son savoir en train d’enseigner une matière qui était déjà obsolète, à des jeunes filles qui n’avait pas besoin de ça pour trouver un mari.

     

    Françoise avait eu un amant, mais elle ne l’a pas gardé longtemps, père ne l’a pas su. C’était un godelureau qui habitait la banlieue. Il roulait, soit dans une voiture toute pourrie, soit en vélo qu’il garait sous ses fenêtres, quand le tacot ne voulait pas démarrer.

    Le week-end, Matéo jouait au foot sur un petit stade de banlieue et Françoise allait faire la supporter devant les vestiaires. En attendant dans l’humidité malsaine et chargée de miasmes de la banlieue elle prenait des rhumes qui perturbaient sa diction et faisaient tromper les élèves du cours privé bienpensant lors des dictées d’exercices.

    Quand les copains de son footballeur quittaient des vestiaires ils la mettaient gentiment en boite. Le Matéo était sur le grill.

    — Mais où c’est que tu l’as déniché celle-là ! Même les vendeuses du Monoprix elles sont moins cassebé.

    Avant de sortit du vestiaire, le petit Matéo faisait la leçon aux autres.

    — Si y en a un qui lui dit une connerie je lui ni… le bénéfice.

    Mais il y en avait toujours un pour faire briller sa science.

    — Hé ! Mamoiselle ! Ta mère elle sait qu’t’est là !

    Le petit copain n’aimait pas ça.

    — Hé ! Mamoiselle ! Viens dans l’vestiaire pour la mi-temps.

    Le petit copain savatait le malotru et la cohésion de l’équipe en souffrait.

    — Hé ! Mamoiselle !quand y en a pour un y en a pour onze !

    Auquel Françoise répondait avec humour.

    — Désolé ma voiture n’a que cinq places.

     

    Le petit ami était encore passable bien qu’il eut fallu le policer un peu mais la famille non, il y avait trop à faire. Après un repas où le père en pyjama et les frères en tenue de footballeurs se tinrent comme des gorets et où la mère en combinaison avant d’attaquer la paella, posa sa perruque sur le divan. La séparation devint inévitable et Françoise, le cœur gros, dut s’y résoudre.

     

    Depuis, sur les conseils de son oncle Fabien, le président du club du quarante, Françoise avait renoué avec les anciens de la section ado. Par le passé elle avait été la souffre-douleur de la clique à Marcelle. Ce petit groupe de deux ou trois lui avait fait subir toute une série de brimades.

    Un petit secret avait chagriné sa famille. Sa mère Hortense avait eu Françoise de monsieur Fabien Gresac avant son mariage avec Gaston Gresac. Ce secret bien caché Marcelle l’avait découvert en comparant les dates dans divers dossiers.

     

    Marcelle avait une mentalité de nantie, hautaine et perverse du fait de l’éducation reçue dans sa boite à gazelles. Elle prit à part sa copine et lui raconta toute l’histoire en lui faisant miroiter toute la méchanceté qu’elle pourrait en tirer tant contre le président Fabien Gresac qu’auprès de ses parents.

    Marcelle avait besoin d’une cour d’inférieurs pour tirer ses ficelles et étendre ses tentacules. Du fait de ces révélations Marcelle exerçait un chantage Françoise était tombé sous sa coupe. Très vite Marcelle devint dominatrice et Françoise eut le malheur de se laisser faire. Marcelle commença par la prendre comme amante puis la dérive se fit et Françoise se retrouva prise d’une subtile emprise.

    Françoise subissait Marcelle dans le petit studio que lui payait son parrain. Marcelle avait investi le dernier tiroir de la commode. Elle disposait divers accessoires qui lui servaient à tourmenter Françoise. Ils étaient numérotés et Françoise devait tirer un numéro au hasard dans un vase ce qui définissait l’engin de souffrance.

    Marcelle déshabillait lentement sa victime en émaillant les diverses phases de l’effeuillage de remarques désobligeantes. Puis elle commençait à exciter sa victime. L’alléchant par des attouchements vite interrompus. La laissant sur sa faim, elle la moralisait lui reprochant les penchants qu’elle avait suscités. Puis l’entrainant sur le divan elle se faisait prodiguer les caresses et attouchements libertines. Quand son plaisir était satisfait elle repoussait sa proie et entreprenait d’exercer quelque tourment à l’aide de l’objet choisi. C’était soit des badines souples qui cravachaient les côtes de la victime soit une palette de bois qui assénait les claques sonores sur le fessier rebondi de la patiente. Parfois Marcelle posait sur le plancher quelques punaises d’écolier et obligeait son souffre-douleur à se rouler dessus. Puis une énigme était posée et comme la réponse ne venait pas Marcelle d’un air dégouté concluait.

    — Ce que tu peux être conne ! Tu ne trouveras personne pour te marier ou alors le bon à rien de fils Médis si sa mère ne lui trouve pas une moins gourde que toi et encore si ils te prennent ce sera pour renflouer les dettes du père.

     

     

    Je vais place Bellecour pour retirer un paquet recommandé à la poste En sortant je tombe sur Pellouaille pour l’état civil. En fait, comme il est inspecteur au commissariat du coin on l’a surnommé Sherlock Holmes. Nous ne pouvons pas faire mieux que de nous tomber dans les bras et c’est parti pour un verre chez Louise.

    — Bière ou whisky ?

    Dans la police on sait poser les bonnes questions.

    — Diabolo menthe comme au bon vieux temps de la patrouille des Lynx.

    — As-tu revu des anciens ?

    — A part les Saujon et Maurice les anciens se font rares.

    — Nous pourrions organiser une soirée en semaine pour nous retrouver. J’ai toujours le fanion et mon foulard.

    — Moi il ne doit me rester que le coulant en cuir du foulard et les flots de la patrouille.

    Le diabolo épuisé nous passons à autre chose.

    Louise nous propose un Beaujolais Fleurie fait pour les dames mais très honnête pour un seize heure. On ne peut dire du mal d’un vin dont les vignobles murissent sous le regard de la Madone au sommet de sa colline.

    Nous prenons une fillette sans remord.

    — Un peu plus tard je vous l’aurais servi avec des grattons mais maintenant c’est trop tôt.

    Louise d’esquive derrière son comptoir. Les mauvaises langues disent qu’elle consulte des revues de culturisme et qu’elle découpe des images. Où se niche la médisance ?

     

    Le Fleurie est excellent je l’imagine accompagnant un petit gigot d’agneau de lait entouré de cœurs de cardons rôtis.

    — Rôtis mais à la crème bien épaisse.

    — Tu lis dans mes pensées ?

    — Tu parles en rêvant.

    — Ah bon ! Mais pas de crème tu veux bousiller mes artères ?

    — Dans le Midi on mettrait de l’huile mais à Lyon c’est de la crème. Demande à Louise.

    — Nous n’allons pas la déranger dans ses découpages.

    Nous parlons de la patrouille, de l’abbé qui troussait sa soutane pour passer dans les ronces. Vient la revue de nos farces de potache et comment ne pas évoquer la crème de marron sur le fond du short de Georges. Madame mère était venue plaindre à l’abbé des plaisanteries que nous faisions subir à son rejeton.

    — Tu te souviens de la réponse de l’abbé ?

    — Pour savoir si c’était vraiment de la crème de marron il eut fallu que je la goutasse, mais l’aspect de la chose m’ayant défavorablement incité à le faire, je ne l’ai point éprouvée. Grand bien m’en fasse.

    Pellouaille sourit encore quand il me saisit le bras.

    — Je l’ai eu comme plaignante il doit y avoir quatre ans.

    — Tu l’as mise au trou ?

    — Non Un soir elle ramène rue d’Ainay un légionnaire. Les gosses étaient chez leurs grands-parents le mari était déjà au Venezuela. Elle lui fait le grand jeu d’Esméralda sur le parvis de Notre-Dame. Les frusques volaient aux quatre coins de la pièce, La vodka bue au goulot et la chaine stéréo à fond. Les voisins appellent le commissariat et comme j’étais de permanence j’envoie un fourgon. Mes gus calment le jeu, le légionnaire un peu frustré d’avoir sa cigarette sur l’oreille et de ne pas pouvoir la fumer, rouspète et mes zigotos l’embarquent. Tout commence une heure après Madame Saujon viens porter plainte pour le vol d’un bracelet de prix, en or et platine. Je me paye une fouille en règle du légionnaire. A part ses tatouages il ne dissimulait rien. Je fais fouiller la cellule et le fourgon. Négatif de négatif. J’interroge le militaire et il me dit que la dame n’avait pas de bracelets. Qui croire ? Le matin j’envoie le légionnaire au juge et je n’y pense plus.

    Dix jours plus tard visite de la plaignante qui avait retrouvé le dit bracelet dans son deuxième coffret à bijoux.

    — Et alors ?

    — Le légionnaire s’est quand même tapé trois mois de tôle dans son régiment à son retour.

    — Mais il était innocent.

    — La tôle c’était pour s’être fait entôler par une conne d’amatrice quand il y avait à Lyon des professionnelles qui ne lui auraient pas causé d’emm…

    — L’armée ne plaisante pas. Moi, elle m’a pratiquement violé avec une de ses copines.

    Tu as porté plainte ?

    Pour faire rire les juges. Non mais, ma vengeance sera terrible et éternelle.

    Sacré Pellouaille avec lui j’en ai appris de belles.

     

     

    Un message de Carole m’attend au labo. Je veux m’excuser pour l’autre fois, passe me voir. Je laisse passer deux jours et je contacte la bourgeoise. Je lui propose une promenade au clair de lune. Je lui demande incidemment.

    — j’aimerai que tu te coiffe en queue de cheval pour admirer les courbes de ton cou et pouvoir les embrasser sans mâchouiller des cheveux.

    — Si tu y tiens tes désirs seront exhaussés.

    Je passe prendre la bergère repentante avec une superbe Aston Martin que l’oncle Albert ne sort que dans des circonstances exceptionnelles et seulement pour lui faire prendre l’air.

     

    Elle arrive toute pimpante et s’est mise en frais de toilette. Robe noir simple mais largement décolleté avec une simple perle noire en collier mais le modèle XXL. Un stratocumulus de parfum Magie Noire prévient à distance que la dame utilise l’arme fatale et n’a pas lésiné sur la quantité.

    Elle se pose dans ce cocon d’exception avec quelques manières et miaulements de starlette débutante et je suis obligé de baisser ma vitre pour respirer.

    — Elle est bath !

    — L’oncle Albert me la confie quelques fois.il l’avait acquise surtout pour promener sa vedette américaine. Tu n’en avais pas entendu parler ?

    — Une grande vedette ?

    — Une très célèbre, plusieurs films et une dizaine de séries télé.

     

    Nous roulons depuis un moment.

    — Je suis confuse Josette m’a entrainée mais au début il n’était pas question de te molester

    — Ne me dis rien maintenant nous en parlerons au clair de lune ce sera plus romantique.

    — Comme tu es chou.

    — Chou est chinois, moi pas.

    — Que viens faire ce chinois ?

    — Son nom est Chou

    Pourquoi ? Il y a des Choux chinois !

    — Tais-toi et soit belle. (Ou vice- versa c’est comme on veut).

     

    Son manteau en vigogne s’entrouvre sans vergogne et ses jambes se croisent et se décroisent au risque de détourner mon attention de la conduite. Sa main caresse négligemment son genou pendant qu’elle regarde au loin.

    — Cette promenade au clair de lune ce que tu peux être romantique. Nous t’avions mal jugé. Tu es un doux-rêveur dans la blouse du professeur Tournesol.

    — N’as-tu pas entendu parler d’un certain docteur Jekill

    — Je ne me souviens plus lequel est le bon lequel est le méchant

    — Profite du paysage.

    Nous arrivons à Saint Bernard et un petit restaurant nous accueille avec ses tables sous les tonnelles et ses lampions multicolores qui dispensent une lumière complice

    — Tu me gâte il y a longtemps que je n’ai pas fait une sortie si intime. Tu ne m’en veux pas ?

    — Tout travail mérite salaire tout offense mérite châtiment

    — Tout plaisir mérite sa peine.

    — Si tu le dis pour l’instant choisit ton poisson

    La serveuse nous propose de l'omble chevalier façon bressanne. Nous sommes pour. Le vin est délicieux et nous sommes à la limite de l’abus.

    Le dessert est un peu trop sucré par contre l’addition est salée. Quand le petit cabaretier se prend pour un grand chef étoilé c’est sur la note qu’il commence à fantasmer.

    — Allons faire un tour sur les bords de la Saône pour évaporer les vapeurs de ce bon Gamay.

    — Pourquoi prenons nous la voiture ?

    — Pour rattraper l’ancien chemin du halage des péniches d’avant la motorisation.

    La Saône fait un large coude et déroule une magnifique plage de petits graviers. Un élargissement du chemin permet de garer le véhicule, nous descendons et j’ouvre le coffre.

    — Passe-moi ton manteau.

    — Pourquoi ?

    — Pour la balade au clair de lune. Passe-moi aussi ta robe

    — Tu veux me mettre à poil ?

    — Pour un clair de lune il faut mettre ta lune au clair.

    — Mais tu n’y pense pas.

    — Tu as quelque chose à te faire pardonner. L’attentat à la pudeur sur ma personne le viol collectif la rallonge électrique, et le coup d’escarpin dans les côtes tu as tout cela à te faire pardonner.

    — Mais je n’étais pas seule, c’est Josette qui a eu l’idée de venir chez toi c’est elle qui voulais te donner une leçon pour le colis que tu lui avais expédié. C’est Josette qui m’a entrainé

    — Depuis que tu as l’âge de raison tu as la faculté de dire non. Il te fallait lui dire N.O.N. Mais ne t’inquiète pas je ne serai pas aussi diabolique que vous.

    — Tu y tiens

    — J’y tiens allez, tombe la robe et tout le reste, pas de quartier, je veux un clair de lune total.

    Carole se hâte lentement de se dévêtir et me coule des regards pour guetter un signe d’arrêt.

    — Allez ! Pressons la lune va prendre froid.

    — Les bas ! Je les gardes ?

    — Enlève

    — Et les bottines ?

    — Moi les bottes ça me botte. Garde les si tu veux comme ça tu ne seras pas complétement nue.

    Elle se dandine d’un pied sur l’autre attendant la suite. Avec le fil électrique qui avait servi sur moi j’entrave les poignets de la Vénus nocturne dans son dos comme elles me l’avaient fait.

    — C’est tout ?

    — Presque.

    Je fixe autour de son cou le collier du brave toutou qui avait fait la joie d’une de mes tantes.il est muni d’une laisse à enrouleur.

    — Tu veux promener Mirza ?

    — Simplement lui donner un peu d’exercice.

    J’avais au préalable longuement choisi une badine de noisetier assez fine pour rester souple mais assez grosse pour être explicite. D’un coup bien appliqué je fais bondir en avant l’animal qui se cabre et proteste.

    — Allez trotte !

    — Sauvage !

    — Trotte sinon.

    La dame avance sur le chemin désert pour le moment. A douze heures prés mon cirque aurait fais un sacré Monsieur Loyal au milieu de la foule des promeneurs. La queue de cheval se balance au rythme du tressautement des épaules. Je laisse du mou dans la laisse puis je bloque le système. Je me rapproche et assène un coup sur la croupe blafarde sous la lune. 

    — Ail ! Pourquoi tu m’as tapée

    — Pour le plaisir celui-là tu le rendras à ta complice. En fait ce soir je fais un tout et tu partageras avec elle.

    — Là tu es salaud tu sais bien que je ne pourrais pas.

    — Allez, avance on n’est pas là pour musarder.

    Quelques coups de badine plus loin nous arrivons devant un banc qui fait la joie des vieux promeneurs du dimanche. J’attache madame à un poteau proche et vais m’assoir tranquillement. Après un long moment elle commence par avoir peur

    — Et si quelqu’un passe ?

    — Il n’aura cas se servir. Les fontaines le long des chemins sont faites pour désaltérer les promeneurs

    — Je ne suis pas une fontaine et je commence par avoir froid.

    — Regarde l’eau qui coule à tes pieds tu ne veux pas te baigner ?

    — Ah non !

    — Oublions la baignade mais en échange de quoi ?

    — mais de rien.

    — Alors la baignade.

    Je la détache du poteau et m’apprête à la pousser vers la plage.

    — Arrête je ne veux pas me mouiller l’eau doit être froide.

    — L’eau froide te fera du bien, elle calmera tes ardeurs et ton agressivité

    — Arrête ! Stoppe la plaisanterie. Je me rends suspends cette brimade contre ce que tu veux elle commence à tourner à la cruauté.

    — D’accords mais en compensation tu resteras un mois sans aucun contact avec Josette, et pendant un mois, tous les week-ends, tu viendras me retrouver où bon me semblera les nuits pour mon bon plaisir et éventuellement en esclave sexuel,

    — Pour Josette ce sera dur mais le reste avec plaisir.

    Je pose ma veste sur ses épaules, délie ses mains et les installe sur ses seins.

    — Ils méritent bien une petite caresse en récompense, je t’autorise à les choyer pour les réchauffer.

    — Ceci est une gentille attention et moi je te permets de dorloter le petit orphelin d’en bas.

    Après une bonne heure de cajoleries et les effets sonores générés, ma perverse victime redevient Madame Médis comme à la ville. Les grenouilles du coin vont pouvoir reprendre leurs ébats que nos susurrements avaient interrompus

     Nous regagnons la voiture. Sur le chemin de temps en temps je fouette les mollets de ma compagne pour assoir mon autorité et je n’enregistre aucune plainte.

     

    Le premier samedi elle se présente toute falbalas en ostentation et parfums vulgaires au vent. Un mot sur ma porte « Les clefs chez la concierge. Installe-toi tu as tout ce qu’il faut pour commencer »

     Je lui ai réservé une paire de gants de ménage roses et des éponges jaune quant aux serpillères, c’est un nouveau modèle à fleurettes imprimées. Madame pourra travailler dans la gaité et en couleur.

    Un post-it lui dit « Darling, ma femme de ménage ayant fait un burnout, je te sais compatissante. À bientôt »

     

     

    Pour la soirée de charité organisée au bénéfice d’une fillette hindoue, nous nous sommes donné rendez-vous à la Brasserie Georges de Perrache. Guy Médis fait désormais partie de notre groupe et brille en nous renouvelant pour la nième fois ses exploits tennistiques

    — Le dernier jour ! Une balle de match en or ! L’anglais la loupe et je prends le point.

    Constantin Retaudy a intégré notre groupe avec le rang de futur fiancé de Marcelle. Je supporte son babillage. Il nous vante sa dernière séduction en matière de breloque.

    — Mère m’a offert une montre incroyable.

    Après l’énumération de ses performances de chronomètre, d’indicateur du jour et de la nuit des phases de la lune avec un boitier en or rose et comble du raffinement automatique, avec un diamant qui couronne le monogramme du fabricant.

    — Mais cette montre donne elle l’heure ?

    — Mais oui elle ne prend qu’une seconde de retard en vingt ans.

    — Donc pendant dix-neuf ans elle ne donne pas l’heure exacte, logique mathématique s’entend.

    — Oui mais si on chipote…

    — Quel est son prix ?

    — Un cadeau ça ne se dit pas mais elle doit être couteuse, mère ne s’amuserait pas à m’offrir une breloque.

     

    Nous nous répartissons dans les voitures Maurice se charge de prendre Françoise quand à moi Isabelle me rejoint in extremis les Saujon l’ayant laissée sur le carreau. Le fils Médis lui cède sa place devant et s’assois sur la banquette arrière.

    — Voilà un jeune homme galant qui va faire un bon mari.

    — Je n’y pense pas encore j’espère faire d’abord une belle carrière de tennisman.

    — Je vous souhaite tout le bonheur du monde et une gentille épouse par la suite.

    Nous n’arrivons pas les premiers les Saujon ont jetés leur dévolu sur une table à droite de la piste où déjà un couple d’antipodistes de produisent

    A l’entrée le président du Club du quarante reçoit les invités. Il leur adresse à chacun soit un simple sourire soit une grande phrase. Pour nous il semble s’intéresser de près à Isabelle. Il la prend par l’épaule et lui glisse dans la main un paquet d’enveloppes.

    — C’est pour vous faire participer à la tombola en souhaitant que vous ayez un lot.

    Les Saujon sont arrivés avant nous et vraisemblablement ils font table à part avec Vaugelas.

    Ils nous font quelques sourires assortis de signes de main qui se veulent amicaux.

    Maurice et Françoise se casent tant bien que mal à notre table pendant qu’Isabelle me refile une enveloppe.

    — Vous voyez, il est sympa notre président. Il doit savoir que je n’ai pas de gros moyens en ce moment avec mes stages.

    — Si tu ne gagnes pas de lot, c’est le président que se proposera comme lot de consolation.

    Françoise tique à cette plaisanterie. Eh oui ! Vis-à-vis de son oncle je viens de gaffer. Maurice me sauve la mise en l’entrainant vers le stand de foulards en soies peints à la main et réalisés par deux vieilles dames charmantes et industrieuses.

     

    Isabelle laisse flotter son regard vers des choses qui ne sont pas dans cette salle. Je lui prends la main.

    — Où vont tes rêves ?

    — Je suis sœur Anne sur le créneau du donjon.je ne vois rien venir.

    — Tu ne regardes pas au bon endroit.

    — Quand je te regarde j’aimerais voir dans ton regard un petit nuage de poussière là-bas à mon horizon.

    — Tu penses que je suis un bon parti pour toi ?

    — Qui sait !

    Maurice revient nous prévenir.

    —En se faisant une petite entorse à la cheville, la fermeture de sa jupe à craquée. Je ramène Françoise chez elle.

    Isabelle s’inquiète.

    — Est-ce grave ? A-t-elle besoin d’un coup de main ?

    — Non mais tu connais les femmes ! Demain il n’en sera plus rien.

     

    En ce moment une chorale de bambins chante à la claire fontaine. Les Saujons font mine de ne plus s’occuper de nous. Isabelle semble s’ennuyer, je lui propose de lever le camp.

    — Si tu veux tu me ramène je vais en profiter pour réviser. Notre groupe n’est plus pareil avec ces rumeurs de mariage entre Marcelle et Constantin.

    — C’est l’alliance de la carpe et du lapin. Tu imagines la nuit de noces, les deux à poil en train de réviser le kamasoutra pour trouver le…

    — Arrête tu deviens trivial.

    — Poursuite ! Si tu dis trivial je dis poursuite. Excuse-moi c’est une boutade.

    — De Dijon ?

    — C.Q.F.D. ! Mille excuses c’était pour te redonner le sourire. Tu n’as pas envie de prendre un peu de bon temps.

    — Tu me propose de coucher ?

    — Pas du tout pour l’instant ce n’est pas un dialogue entre une femme et un homme c’est des mots entre deux amis, deux entités en langage philosophique.

    — Tu as fait de la philo ?

    — Je viens de te faire un résumé de mes connaissances en philo. Parle-moi d’atomes, de molécules, d’isomères, de chaines aromatiques ou cycliques, de résines terpéniques ou de petits feuilletés à la saucisse comme on en trouve outre Rhin voilà mon univers.

    — Permets-moi de n’adhérer qu’au dernier élément.

    — C’est un élément du bon temps que je te propose, si les petits pains à la saucisse sont savoureux, ils sont bien plus savoureux à deux. Voilà ma philosophie.

    Nous roulons depuis cinq minutes quand je m’aperçois que nous avons oublié le fils Médis. Perdre le Guy c’est presque perdre le petit poucet. Nous allons avoir droit à une prolixe saga pendant longtemps.

     

    En ramenant Françoise à son petit studio, Maurice avait le cerveau qui tournait aussi vite que les aiguilles d’un réveil dont le ressort s’est emballé. Françoise n’avait plus l’allant des premiers temps et on décelait un certain malaise provenant d’un manque de confiance en soi.

    — Alors ! Comment se passe vos cours de sténo ?

    — Je n’ai pas tellement le moral en ce moment et les progrès de mes élèves s’en ressentent

    — Quand j’avais le teint qui se brouillait ma grand-mère délayait dans un sirop de grenadine de la Quintonine. C’était soit une cure de huit jours, soit c’était le vermifuge et ensuite tout allait mieux.

    — Moi j’aurais besoin des deux.

    Arrivé devant son immeuble l’entorse avait évoluée et la malade ne pouvait plus poser le pied par terre. Maurice fort de ses séances de musculation emporta Françoise dans ses bras comme si c’était un oreiller

    — Je dois peser une tonne

    En prenant sa patiente dans ses bras Maurice s’aperçut qu’elle avait eu un recule de douleur et il pensa à un muscle froissé par la chute.

    — Oui une tonne de plumes mais les altères de la salle de gym sont trois fois plus pesantes.

    — C’est gentil de vous occuper de moi.

    Dans le, logement il examina la cheville et en conclut qu’il ne fallait pas la laisser comme ça. Comme l’armoire à pharmacie de la malade était plutôt sommaire, il se rabattit sur la cuisine. À l’aide d’huile de table, faute de mieux, il entreprit un savant massage des ligaments froissés. Après un long moment un mieux était déjà visible. Pour trouver un linge susceptible de servir à un bandage, quelle ne fut pas sa surprise de tomber par hasard sur le tiroir des accessoires de torture. Maurice sur le coup ne dit rien mais il commençait à faire la relation entre ce matériel et la douleur du dos.

    — N’aurait tu pas un muscle de froissé ? Je pense au grand dorsal. Fais-moi voir

    — Non c’est rien. Je n’ai déjà plus mal.

    — Tu sais tu peux me montrer si c’est un muscle froissé je peux être efficace sinon si c’est le matériel du dernier tiroir de ta commode qui t’a fait cette blessure je ne peux rien y faire.

    — Mais non laisse moi je me débrouillerai toute seule pour…

    — Pour te faire tourmenter avec ce joli outillage du docteur Sade. J’aimerai bien voir comment tu t’en accommode ?

    Françoise éclata d’un grand sanglot et se mit à pleurer le visage dans son oreiller. Maurice descendit la fermeture-éclair et mis à jour, les marques sévères des dernières séances. Parmi quelques zébrures et hématomes sur les côtes un clou punaise avait pénétré assez loin et la blessure s’infectait. Maurice repartit explorer l’armoire à médicaments et revint avec un minimum. Faute de mieux pour le moment un sparadrap spécial ampoules fit l’affaire.

    Après un long moment entre larmes et reniflements Françoise commença à se confier.

     

     

    Madame mère vient me gronder d’avoir perdu son rejeton dans une salle pleine de monde qu’il ne connaissait pas

    — Hé bien j’espère qu’il a saisi une occasion en or de se faire des amis, ça peut servir dans la vie et on va dans le monde pour rencontrer du monde. Ce genre de réunion est fait pour ça. Rassure-moi, il a quand même retrouvé son chemin ?

    — C’est le fils Saujon qui l’a raccompagné.

    — Alors il ne risquait rien c’est des gens du monde.

    — Pendant le trajet Georges lui a posé la main sur la cuisse !

    — Il voulait tâter la flanelle du pantalon pour voir si c’était du bon tissu.

    — Arrête tu connais ses penchants.

    — A moi il ne me l’a fait qu’une fois.

    — Ah bon !

    — La promesse d’une décoction de phalanges dans les dents lui a coupé l’envie de recommencer et maintenant nous sommes bons copains. Fais donner à ton fils des cours de mornifle et de ramponneaux. Trouve lui un professeur de bourre-pif.

    — Ça te vas bien de plaisanter comprend que je m’inquiète c’est encore un enfant.

    — Un enfant qui prend en levrette ses petites camarades d’école. Carole !ouvre les yeux et examine ses draps le matin, tu pourras réviser la géographie de la France.

     

    Comme Josette a dû lui apprendre, elle se déshabille en se déhanchant et projette négligemment ses nippes aux quatre coins de la pièce. Sans musique le strip n’est plus du strip c’est de l’amusette de gourgandine.

    Elle a une flèche tracée au feutre qui part du nombril et va se perdre dans la toison pubienne et quand elle se retourne elle a la même au dos

    Vais-je devoir repasser le permis de conduire ?

     

     

    Le Club du Quarante organise au siège social un après-midi récréatif pour la jeunesse. Des parents tiennent les stands. Georges nous demande, Maurice et moi, de l’accompagner .certains jeunes, petits fils de famille, se permettent des réflexions désobligeantes sur sa vie sentimentale et son mariage. Moi je n’approuve et ne désapprouve rien. George c’est notre copain depuis la cour de collège et on le prend en bloc comme il est. De plus c’est dans son genre une vedette.

     

    Nous allons de stand en stand. Georges nous a offert une poignée d’enveloppes pour la tombola. Il y a une magnifique lampe de bureau à gagner. D’un coup d’œil je constate que l’heureux gagnant de l’année passée l’a déposée en lot. Nous passons au stand des pâtisseries et j’offre une portion de tarte et une boisson à chacun Nous nous mettons un peu à l’écart pour discuter quand j’aperçois au stand des napperons Isabelle esseulée attendant vainement d’improbables chalands. Je m’approche d’elle et lui propose ma portion de tarte.

    — Non merci je tiens à ma ligne.

    — Profite de ta jeunesse on s’aperçoit que c’est trop tard quand c’est trop tard. (Cette lapalissade, j’éviterai de la resservir)

    — J’y veillerai monsieur Chabannes de la Palice.

    — C’est que tu as des lettres.

    — Mon petit Robert si tu ne regardais pas du côté de La rousse tu verrais mieux ailleurs.

    — C’est celui qui l’est Quillet.

    — Tu viens de me faire la démonstration parfaite de ta légèreté. Et pourtant ! Quand tu veux.

    — Quand je veux je peux

    — Tu pourrais me rendre un grand service.

    — En quoi puis je…

    — Pas ici donne-moi un rendez-vous. Nous pourrons en parler tranquillement.

    — Pourquoi pas ce soir chez moi.

    — Surtout pas, ce soir au Talon Rouge, pour vingt heures, je t’invite

     

    Le Talon Rouge est l’un des plus discret restaurant de la capitale des gaules. Les tables sont rangées de façon qu’aucun regard indiscret ne trouble la quiétude des convives et une fois la commande prise vous pouvez parler sans entraves.

    Isabelle arrive au dernier coup de vingt heures et se fait conduire à la table retenue. J’attendais au bar et je la retrouve dès qu’elle est installée.

    — Merci d’être venu !

    — Tu as pu faire garder Miaou miaou ?

    — Oui je l’ai conduit chez mes parents bien qu’ils n’aiment pas trop s’en occuper.

    Discrètement le patron se présente pour prendre la commande et au passage nous recommande le baron d’agneau sauce talon rouge et sa suite de pommes nouvelles. Comme si le reste de la carte était à négliger. La salle est pratiquement vide pour l’instant et il est fort à parier que le baron est déjà prêt à passer à table. Nous optons donc à l’unanimité pour le baron sans oublier sa suite.

    — Pour les vins ?

    Isabelle me fait signe de choisir.

    — Préférez-vous un rouge ?

    — Plutôt un blanc

    — Avez-vous de l’Edelzwicker ?

    — Il est rarement demandé mais nous en avons.

    — Alors ce sera parfait.

     

    Le patron s’en va d’un pas feutré. Isabelle me regarde amusée.

    — Je n’ai jamais entendu parler de ce vin.

    —L’oncle Albert est aussi mon employeur en reçoit des caisses entières d’un de ses vieux amis vigneron alsacien. C’est un mélange de cépages surtout produit par les petites exploitations et souvent réservé du moins pour l’essentiel aux connaisseurs ou aux restaurateurs qui le détaillent à la chopine.

    — Vous en savez des choses.

    — Si vous saviez tout ce que je ne sais pas.

    Le baron mérite son titre, le vin passe bien et mon vis-à-vis a les joues qui rosissent suite au vin blanc. Au café Isabelle me prend la main.

    — J’aimerai que la suite reste strictement entre nous, je vous estime assez pour vous faire confiance.

    — Tant que la sécurité du territoire n’est pas en jeu je ne me vois pas forcé d’ébruiter la chose.

    — Il en va de mon avenir et de ma vie peut être aussi de la vôtre.

    — Je vous écoute.

    — Je ne suis pas très belle, mon miroir me le dit tous les jours, je suis tout juste acceptable sans plus. Mes parents sont de petits fonctionnaires. Ils sont seulement à l’aise et ne peuvent me fournir une dote. Je n’ai pas la chance d’intéresser les garçons que nous fréquentons et de jours en jour les chances de me marier s’amenuisent. Au bal du cercle du quarante vous avez fait allusion à Maurice mais je ne suis pas le genre qu’il lui faut. Maintenant il fréquente Françoise. S’il me regardait c’était comme un trophée qu’il aurait aimé pendre à sa ceinture comme chez les sauvages un scalp.

    — Vous croyez Maurice aussi vénal ?

    — Pas sûr à cent pour cent mais…

    — Venons aux faits ! Qu’allez-vous me proposer ?

    — Je n’espère plus le prince charmant. Les coups de foudre cessent quand le feu s’épuise et ne serait-ce que les mères de nos amis qui vont batifoler comme des papillons nous prouvent le superficiel de la chose.

    — Qu’attendez-vous de moi ?

    — Depuis longtemps Je vous vois évoluer et j’ai cerné en vous des qualités morales qui coïncident avec mes aspirations profondes. Je ne pense pas que votre union avec Lise puisse au final aboutir. Les parents trop calotins, la demoiselle un peu jeune et ne s’étant pas frottée à la vie. De plus je ne vous vois pas conduire à l’école un petit rouquin espiègle et pleurnichard. Vous allez vire vous lasser. Aussi j’aimerai vous proposer une plus longue discussion pour envisager notre union.

    — Rien que ça !

    — Je pense que nous pourrions établir une sorte de charte pour rendre à tous deux la vie agréable. Vous avez vos passions, votre travail, déjà des habitudes de gentleman anglais.

    — Mais je ne veux pas me marier avec vous comme vous l’avez dit j’ai Lise pour l’instant.

    — Vous êtes la cible de toutes les belles mères en puissance de notre monde qui ne pensent qu’à caser leur progéniture. Je pense même que certaines vous ont essayé physiquement.

    — Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

    — Des rumeurs, des rires sous cape, mais nous savons ce que valent les rumeurs. 

    — Elles valent la bêtise de ceux qui les colportent ou qui y croient.

    — Pour cette raison notre mariage mettrait fin aux manœuvres d’encerclement dont vous faites l’objet.

    — Mais le mariage comprend certaines obligations physiques.

    — Je pense pouvoir les assumer loyalement. Revoyons-nous pour en parler.

    — Je rêve d’une femme assez intelligente pour me montrer qu’elle ne l’est pas plus que moi et assez subtile pour ne pas en profiter.

    — Je peux être elle et son contraire.

    — Et dire qu’on vous traite d’évaporée.

    — C’est un peu un rideau de fumée que j’établis pour émousser les dents des jaloux de tout poil. Je passe, insignifiante, ne stimulant pas mes adversaires

    — Isabelle toute ma sympathie va vers vous et je vous apprécie énormément en tant que camarade mais je dois vous dire non car avec moi vous feriez une fin et le mariage c’est un commencement. Vous risquez de passer à côté d’un véritable amour ou d’en profiter d’une manière mesquine. Vous ne vous voyez pas courir en catimini à des rendez-vous dans des lieux sordides pour assouvir des passions indignes.

    — Je n’ai pas eu jusqu’à présent de relations qui m’aient laissé un agréable souvenir et ce soir j’aimerai avec vous que vous m’aimiez comme si nous étions l’un et l’autre nimbés d’un doux sentiment. Qu’importe si à l’aube le carrosse est redevenu citrouille.  Pour une fois ?

    — Mon cœur est ailleurs et je ne voudrais pas porter un sentiment de remord.

    — Avez-vous eu du remord avec Josette ou Carole ?

    — Si vous voulez passer à votre âge dans leur catégorie ?

    — Je veux simplement au moins une fois avoir du plaisir et connaitre le bonheur et, si vous le voulez, je porterai votre enfant.

    — Hors mariage ?

    — Si je n’en fais pas un maintenant je n’en ferai jamais est-ce un bonheur que vous me refuserez ?

    Je la reconduis en voiture et pendant tout le trajet elle ne dit rien. La rue des frères Lumière est déserte Je l’accompagne et devant sa porte…

    — Je suis votre servante.

     

    Dans son petit appartement d’abord un pouf qui doit être le domaine de Miaou miaou. Des peluches trainent dans les coins abandonnées par le toutou. Quelques plantes vertes donnent une touche Feng shui à l’appartement. Une échelle de meunier doit conduire à une mezzanine. Une table basse supporte des revues et un brule parfum d’importation récente. Des lavis encadrés doivent être le produit d’un stage artistique et l’affiche d’un spectacle d’opéra- ballet révèle les gouts de l’occupante. Une fenêtre lyonnaise donnant sur la rue éclaire la pièce. L’enseigne néon du magasin d’en face projette des notes dansantes et colorées que des doubles rideaux étouffent.

    Isabelle m’a fait entrer et maintenant elle ne sait plus que faire. Je dépose son manteau sur le dossier d’une chaise et l’escorte jusqu’à la fenêtre.

    — La rue Lumière est bien calme à cette heure.

    A ce moment un bus fonce vers son terminus dans un bruit de moteur vrombissant et de ferraille cliquetante.

    — Rassurez-vous c’est le dernier maintenant le marchand de sable peut passer. Ne sentez-vous pas des petits picotements au bord des yeux ?

    — Je ressens des picotements au bout des doigts, venez !

    Je me place derrière elle et commence à lui caresser la nuque

    — Vous allez…

    — Chut ! Fermez les yeux vous êtes sur la berge d’un lac et la brise légère caresse les roseaux. Un cygne passe au loin. Votre regard le suit sans le voir ce cygne c’est vous il y a longtemps.

    Pendant que je murmure à son oreille, je dégrafe sa robe lentement. Je la sens se raidir légèrement. Je pose mes lèvres sur sa nuque et l’embrasse doucement. La robe finit à ses pieds. Je la prends par la taille et la presse contre moi. Les néons colorent sa peau. Son regarde interrogatif se plante dans le mien. Je me force à compter mentalement jusqu’à vingt-cinq mais à vingt-six rien ne s’est passé je la prends par les épaules et l’embrasse dans le cou. Puis à cour de scénarios je lui demande.

    — On en reste là pour aujourd’hui ?

    — Vous n’importunez nullement ! Continuez.

    Son soutien-gorge rejoint la culotte qui retrouve la robe. Je l’avance en pleine clarté. Sans être la beauté fatale sa poitrine a un certain charme et chose rare et que j’aime elle n’a pas de traces de maillot sur son bronzage léger.

    — Bains de soleil dans un club.

    — Non j’ai un balcon sans vis-à-vis à la campagne.

    — Pas trop froid ?

    — je peux tenir si vous me réchauffez.

    Je la soulève elle se pend à mon cou et je vais la porter sur sa couche mais pas de literie

    — Merci pour le geste mais déposez moi il faut grimper à l’échelle.

    Elle va pour enlever ses bottes mais je l’arrête.

    — Nous ferons avec.

    Moi ! Les bottes ça me botte !

     

     

    Si les chiens pouvaient parler ! Sa photo trône sur une coiffeuse en marbre du début du siècle passé. Il a la tête légèrement penchée comme si il faisait des mines au photographe. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il lui manque que la parole car en ce moment il s’éclaircit la voix.

    — Quelle idée une dame, qui semble intelligente, as elle eut de m’affubler d’un nom pareil. Miaou miaou.

    — En principe, à part quelques abrutis, les humains donnent à leurs animaux des noms du genre Pollux, ou Caramel. Des fois les sans aptitude imaginative appelle leurs chiens Mirza ou Médor. Moi j’aurais aimé m’appeler Brutus comme le lion de Monsieur de La Fontaine. Ce grand homme qui nous connaissait bien laisse encore aujourd’hui une foule de phrases que les gens utilisent pour montrer leur savoir.

    Si ce n’est toi c’est donc ton frère !

    La raison du plus fort….

    Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.

    Adieu veau, vache, cochon, couvée.

    Eh bien dansez maintenant !

    — Elle m’a appelé Miaou miaou ! Quel manque d’imagination.

    Le matin par exemple elle me descend pour ma ballade dans un jogging délavé, informe, sans joie. Comment voulez-vous que le jeune homme élégant qui promène au même instant la petite demoiselle caniche abricot s’approche de nous. Quelle serait ma honte si elle savait mon nom.

    Quand, place des frères Lumière, elle enlève ma laisse pour me laisser courir, je m’abstiens de divaguer trop loin de peur qu’elle ne m’appelle. J’en ramperai sous les dalles de la place.

    Elle me parle souvent et je suis le dépositaire de ses confidences. Toute nue devant sa glace elle déplore qu’elle n’a pas assez de ci ici et trop de la là. Si la nature l’a faite ainsi c’est qu’elle ne voulait pas qu’elle soit autrement.

     

    — Devrais-je m’offusquer quand elle m’amène au toiletteur et que je ressors tondu comme un lion d’opérette et parfumé avec Lady-dog. Quelle horreur si après la séance je croise le butor de dogue allemand qui fait rouler ses muscles. Je n’ose pas penser ce que me dirait le lévrier afghan qui marche le museau au vent en tortillant de la croupe. Croirait-il que j’en fais aussi parti ?

     

    — À mon anniversaire j’ai eu un jouet. À trois ans je suis déjà un jeune homme sémillant (excusez l’expression). La poupée en peluche ne m’intéresse pas plus que la pantoufle qui couine de mes deux ans. J’aurais aimé un collier de cuir noir avec des clous brillants comme celui du danois du pharmacien.

    — Je n’aborderai pas le domaine de l’alimentation. Les os en cartilage, les croquettes qui collent aux dents, les pâtés façon maitre queux.

    — Enfin voilà en gros une vie de chien. Rien ne m’est épargné.

     

     

    L’un de mes clients a monté un super voilier avec nos produits. Il veut l’engager à La Rochelle dans « la Course des Trois Iles » .L’oncle Albert me laisse toute latitudes pour ce projet.

    Je propose à mon menuisier de participer à l’entreprise en fournissant les voiles. L’oncle Albert est d’accord jusqu’au moment où il a entre les mains le devis. Après une réunion de travail nous fournirons les voiles mais le bateau doit porter notre nom et être à nos couleurs.

    Après plusieurs contact téléphonique tout le monde fait un effort le navire portera les deux noms. Par contre l’oncle Albert exige de rencontrer le skipper.

    L’Aston Martin est du voyage.je suis chargé de la porter en révision.

     

    L’oncle Albert installe sa valise faite aux mesures du coffre sa caisse d’eau minérale et après un signe de la main démarre en douceur.

    Six jours se passent sans nouvelles. Le secrétariat est sur les dents. Le trésorier comptable a besoin de faire signer des chèques et moi j’aimerai savoir où se trouve mon oncle.

     

    Soudain la camionnette du menuisier de marine arrive dans la cour. L’oncle, tout sourire et heureux de lui-même en descend. À la moitié du personnel venu sur le perron il déclare :

    — Heureux qui comme Ulysse après un long voyage…

    Sa secrétaire furieuse arrive en brandissant un bloc note.

    — Au troisième ver bonjour les dégâts !

     

     Il a laissé l’Aston Martin à La Rochelle. Il fait faire le tour du propriétaire à mon client et au futur skipper. Tout y passe mais bientôt il embarque son monde dans la vieille Peugeot direction les petits bouchons qui ne figurent pas sur les guides.

     

    Notre skipper et le menuisier repartent de Lyon avec une énorme glacière remplie de charcuteries. L’oncle les a convaincus que le jésus est doux, que les quenelles sont belles et que les grattons sont bons. Pas moins de dix-huit cartons de Beaujolais, de Macon village et de vins de Savoie sans oublier quelques bouteilles de vin jaune repartent avec les visiteurs. On se promet de se téléphoner, de s’écrire et de se rencontrer rapidement.

     

     

    La camionnette regorgeait d’échantillons de bois divers et nous avons là de quoi travailler au labo pour un bon semestre.

     

     

    Seulement voilà L’oncle me propose de descendre chercher L’Aston Martin en train. Le plus rapide est de passer par Paris en prime du bon choix du menuisier l’oncle m’impose une semaine pour aller faire le jeune homme à Paris.

    Paris en une semaine pour un célibataire ou c’est trop court ou on ne peut rien organiser. Je propose donc à Isabelle de m’accompagner. Après quelques scrupules au sujet de son chien elle accepte. L’animal passera la semaine chez les parents.

     

    En fonction du volume du coffre de l’Aston nous ne prenons que deux sacs de sports. Le TGV n’a pas le temps de nous bercer que Paris nous accueille gare de Lyon. J’ai retenu un hôtel modeste rue de Varenne pour ne pas éblouir ma conquête. Elle a voyagé avec un petit tailleur beige qui la fait ressembler à une protestante provinciale. Je ne critiquerai pas ses dessous mais ils tirent plus de la ménagère austère que de la jeune fille de son âge. Ça sent la pudibonderie et le renoncement à la vie que j’ai le cœur un peu serré pour elle.

     

    Comme elle veut voir le métro parisien, la station Varenne nous tend les bras. Nous sommes surpris par l’odeur caractéristique du boyau. Aucun autre métro ne sent cette odeur faite des terres et des pierres de l’édifice. Ma compagne est désorientée aux correspondances. Elle a toujours peur de se perdre du fait de tous ces gens qui courent dans tous les sens. 

    Nous refaisons surface à Havre Caumartin et c’est l’émerveillement devant le boulevard Haussmann.

     J’ai fréquenté ces lieux dans ma jeunesse et nous montons tout en haut du magasin du Printemps. L’heure est propice et nous entrons dans le restaurant. Isabelle est surprise par la grande verrière ses yeux s’écarquillent et elle reste sans voix. Une sympathique et souriante hôtesse nous prend en charge. Elle nous conseille une table où le spectacle du lieu est maximal.

    — Prendrez-vous un apéritif ?

    — Deux coupes s’imposent pour une première visite de mademoiselle.

    Isabelle rougit. Lorsque la demoiselle s’est éloignée elle me murmure

    — Je fais province.

    — Mais ce lieu a été fait pour faire monter les provinces à Paris. Tu baigne dans la belle époque. Regarde la porte du fond Maurice chevalier va entrer.

    Crédule elle se retourne puis voyant la mystification elle s’apitoie

    — Que je suis gourde ! Mais il est mort depuis longtemps.

    — Excuse-moi mais cette mystification a abusé tout un tribunal au procès de Landru. Sur une remarque identique de l’avocat du criminel toute la salle s’est retournée pour essayer de voir la dame disparue

    — Arrête tu es morbide ma belle époque ce n’est pas le boulevard du crime c’est Picasso, Modigliani et Mistinguett.

    — Moi c’est Pasteur, Mermoz, Saint Exupéry.

     

    Du Printemps nous passons aux Galeries Lafayette. En entrant je m’abstiens de dire « Lafayette nous voilà » mais j’en profite pour sourire béatement. Une chinoise de passage me rend mon sourire et Isabelle me demande

    — Tu la connais ?

    — Pas spécialement mais en la voyant j’ai pensé qu’elle venait du pays du sourire

    — Le Japon ce n’est pas la Chine.

     

    D’un magasin à l’autre les paquets s’accrochent à mes mains. Un magnifique chandail, une jupe de daim sexy, des bricoles indispensables pour une vraie parisienne.

    Nous déversons toutes ces frivolités à l’hôtel. Demain nous penserons aux bagatelles.

    Isabelle n’en peux plus et je vais faire un tour pour lui ramener une brioche, moi je me contente de deux croissants. A mon retour elle s’est assoupie et je la laisse rêver à sa vie parisienne

     

    Paris c’est toujours Paris mais à chaque fois je le trouve différent. Il y a un Paris besogneux, un Paris respectable et un « Paris coquin » !

    Le matin nous faisons une boutique Ollé ollé. Isabelle n’as pas le sens du frivole dans sa garde-robe Je l’amène dans le dernier Paris. Le magasin où je la fait entrer indique « Au liseron » « Lingerie de charme ». Je suis séduit par les articles exposés sur les rayons. Isabelle devient rouge de confusion

    — Je ne suis jamais entré dans un endroit pareil !

    — Je l’ai bien vu en te dénudant.

    La vendeuse avec un sourire commercial, mais complice, met ma compagne très à l’aise. Elle suggère d’abord des bas un peu fantaisie. Puis elle passe aux sous-vêtements. Isabelle me les présente craintive de l’effet produit. J’acquiesce ou fais non de la tête. Avec un certain sourire la vendeuse me dit « Mademoiselle a bon gout ».

    — Montrez lui pour aller avec des bas résilles une petite guêpière noire !

    — Monsieur a tout à fait raison !

    — Nous avons dans nos tiroirs de nombreux accessoires, petits jouets ou colifichets coquins.

    — Nous verrons cela lors d’une prochaine visite. Par contre auriez-vous aussi des choses moins habillées mais plus rembourrées de ce côté. 

    Demandai-je avec un geste vers ma poitrine. Pour tous les jours en somme.

    — Je vois bien votre exigence mais, cher Monsieur, nous ne faisons que du charme ! Désolé pas de factice. Pour les illusions voyez aux Galeries.

     

    Je sors avec deux gros sacs aux mains. Le volume des emballages est inversement proportionnel au poids des articles je pense malgré moi qu’il ne doit pas y avoir plus d’un kilo de marchandise. Nous frisions le prix du caviar.

    Nous passâmes en suite chez un chausseur et je lui fis prendre entre autre une paire d’escarpins vernis noirs avec des talons de huit centimètres.

    — Je ne vais jamais pouvoir marcher avec ces chaussures !

    — Tu t’y feras plus vite que tu n’y pense on s’habitue très vite au luxe mais jamais au dénuement.

    Ma compagne ainsi agrémentée

     

     

    La Rochelle est superbement ensoleillée pour nous faire chatoyer les vieilles pierres du centre. Un tour au port pour admirer les tours de la chaine et saint Nicolas un regard à la tour de la lanterne et nous allons nous cacher dans un petit hôtel calme et reposant. Un divan en cornes de buffles me surprend mais je n’ose m’y assoir de peur de tout démantibuler.

    Le soir plateaux de fruits de mer. Isabelle n’aime pas tout alors, nous faisons des échanges. Elle me traite de voleur je la traite de menteuse gourmande. On finit par jouer les derniers coquillages avec des devinettes. Le vin de Loire représenté par un muscadet nous comble de ses saveurs et fini par griser ma Merveilleuse. En noble Muscadin je la reconduis discrètement à notre hôtel. Adieu les lendemains qui chantent. Demain sera un jour cotonneux.

    Au revoir la rue du Minage, les terrasses sur le vieux port, le café de la Paix et la ville charmante.

     

    Nous retrouvons enfin L’Aston martin et quand je passe prendre les bagages, l’hôtelier est très étonné.

    — Je n’ai pas un hôtel de grand luxe et mes clients sont souvent en petites cylindrées.

    — Celle-là est plus qu’exceptionnelle elle a transporté pour son séjour en France…

    Je me penche à son oreille et je lui révèle le nom de la fiancée de l’oncle Albert.

    Il pose un doigt sur la poignée et me confie :

    — J’aurais au moins touché dans ma vie quelque chose d’elle. Votre amie fait aussi du cinéma ?

    — Oui, mais que pour moi.

     

     

     

    Lise et ses camarades de lycée m’invitent à leur premier entrainement de Pom-pom au parc de la Tête d’Or. Je les retrouve vers l’orangerie. Elles me présentent Sabrina ex pom-pom girl des Raiders d'Oakland et qui finit ses études à Lyon. C’est elle qui a donné l’idée à toutes ces demoiselles de former une équipe équivalente à celle des States.

    Hello Mr. Robert !

    — Bonjour mademoiselle je vous félicite pour l’initiative

    — C’est très aimable de venir nous encourager mais vous risquez d’être un peu déçu car nous n’avons pas d’uniforme et ces demoiselles sont venues avec ce qu’elles avaient sous la main.

     

    Sur la pelouse cinq jeunes filles sont alignées, certaines en baskets d’autres en chaussures de ville, des tuniques de sports ou de simples t-shirts de marques automobiles.

    — Hello girls on répète le cri !

    De cinq poitrines jaillit : Les Rapaces c’est les plus coriaces !

    — Les rapaces c’est les plus mollasse !

    C’est Guy qui arrive tout essoufflé en agitant un sac de sport.

    — Je viens me joindre à vous ! Je veux en faire parti.

    Fou rire de ces demoiselles. Lise lui crie.

    — Vas t’épiler les jambes !

    Sophie :

    — Met une perruque !

    Armande.

    — Demande à ta mère qu’elle te refasse sans ton riquiqui.

    Les filles se déchainent et s’amusent se la situation.

    — Demoiselles ! Ce n’est pas obligatoire d’être un groupe absolut féminin On le prend à l’essai et il fera la mascotte costumée pour les matchs.

    Pendant qu’il se change, je m’approche de Guy.

    — Alors fini le tennis ? Elle est mignonne la petite Sabrina.

    — Ouah ! Elle me fait rêver.

    Je pense : Madame mère va pouvoir étendre ses connaissances en géographie aux cartes des U.S.A.

     

    — Hello boy we enter the ranks!

    Assis sur une borne qui se veut indicatrice d’un bâtiment qui a disparu depuis le grand hiver de 1956. Je regarde les évolutions puis m’intéresse aux jardiniers qui viennent lorgner de la cuisse fraiche à l’heure ou de vieilles rombières hantent les allées du parc.

    Sabrina viens vers moi. 

    — Monsieur Robert votre avis ?

    — Pour un début c’est bien mais ce serais plus ronflant avec des tenues uniformes.

    — Aux states les sponsors se battent pour fournir des jupettes et les débardeurs multiples, mais ici dans votre vieille France !

    — Dans ma vieille France je connais une entreprise de vernis qui se fera un plaisir de vous équiper et même nous offrirons des Boots si vous en voulez.

    — On va se faire confectionner des Boots en jeans !

    C’est Lise qui crie, rouge des efforts et de l’excitation pour des uniformes seyants.

    —J’espère être avec vous pour votre première prestation aux cheerleaders des Rapaces. Mes demoiselles à bientôt.

    Lise me rattrape au moment où je monte dans ma voiture.

    — Pouvez-vous me déposer à Bellecour je vais chez mon dentiste ?

    — Montez !

     

    La moitié du trajet s’était faite silencieusement je ne voyais rien à dire pour lancer la conversation.

    — J’aimerai vous demander une chose ?

    — Faites toujours.

    — Après demain c’est le 22 avril.

    — C’est possible.

    — C’est la nuit des Lyrides. J’aimerai que vous m’y ameniez.

    — Oui et après ? Dans quelle salle se produisent-elles ?

    — Ce n’est pas dans une salle c’est en pleine nature.

    — Ah bon !

    — Les « Lyrides » ce sont des étoiles filantes on ne les voit dans le ciel qu’après minuit 

    — Et vos parents sont d’accords ?

    — Oui mais ils croient que j’irai passer la nuit chez une copine pour une soirée pyjama.

    — Belle mentalité de mentir à vos parents.

    — Si vous êtes d’accord on se retrouve disons vers dix huit heures devant la basilique de Fourvière mais prenez un duvet car il faudra regardes le ciel allongé sue le sol.

    — Et nous nous restaurerons où ?

    — Prenez des sandwichs.

     

     

    Muli d’un important matériel de couchage, pour parer à toutes éventualités climatique, je posais mon véhicule au parking. J’avais emprunté la modeste Peugeot de l’oncle. Avec l’Aston-Martin je n’aurais pas seulement pu passer incognito.

    J’admirais le panorama offert par l’esplanade de la basilique en pensant que tous les Lyonnais croyants ou non devraient venir de temps en temps en ces lieux pour prendre la mesure de leur vaste ville et contempler la beauté de ses perspectives fuyant vers les Alpes. Les méandres de la placide Saône et le tracé à la serpe du Rhône bouillonnant miroitent sous le ciel flamboyant d’un coucher de soleil d’avril

    Une petite main se pose sur mon épaule.

    — Il y a longtemps que vous attendez ?

    — En bref instant mais j’ai été captivé par le paysage

    — Père vient souvent quand il doit prendre une décision. Moi j’ai fait un tour à l’intérieur et j’en sors éblouie des richesses architecturales du monument.

    — Quand les Lyonnais veulent faire fort, ils font fort et fort c’est fort.

    — Vous parlez un peu comme Lapalisse

    — J’ai dû être son valet dans une vie antérieure mais ne trainons pas trop ici,

    — Pourquoi êtes-vous pressé de partir ?

    — Monsieur votre père peut venir méditer ici il a peut-être une décision à prendre.

     

    Nous prenons la direction de l’ouest et je roule plein soleil dans les yeux. Cette route n’est agréable que le matin.

    — J’ai oublié les sandwichs.

    — Si vous négligez les choses essentielles vous vous réveillerez un jour ayant oublié où vous avez laissé votre tête. 

    — Nous pourrions aller au restaurant.

    — Oui c’est une bonne idée je suis d’accord mais faisons frais partagés.

    — Si vous y tenez ?

    — Dommage je n’ai pas pris mon petit cochon de porcelaine qui cache aux regards indiscrets le montant de mes économies. Désolé, nous allons Sauter la case restaurant.

    — Je peux vous faire crédit.

    — Alors j’accepte mais nous allons alors dans un truc exorbitant comme cela je ne pourrais rembourser et nous serons quittes.

     

    L’auberge est le type même du piège à midinette. Tables pour deux, certaines plus discrètes dans les recoins de petites salles en enfilades. Musique modern-jazz avec une prédominance de xylophone aux notes cristallines secondées par un saxo mais en sourdine. Pour se donner un air campagnard et bucolique, aux murs des scènes de chasses en sous verre et des natures mortes d’un autre siècle. Les nappes à carreaux rouge décorées classique tranchent du décor mural faussement rustique. Quelques tonneaux dressés et rutilants de vernis constituent le mobilier de desserte et une clarté faussement tamisée qui tombe de roues de brouettes en bois maquillées en lustres.

    L’une des deux serveuses affublées de robes bavaroises mais qui se voulaient plutôt paysanne du cru m’abordent d’un air complice.

    — Avez-vous réservé ?

    Combien de Martin, combien de Dubois, de Dupond et de Dupont ont réservé crapuleusement la table et la chambre du premier au cas où la petite secrétaire ou la dame de rencontre se laisserait séduire par le bon vin du repas et l’estocade au champagne.

    — J’ai ma table au nom de Bond. James pour l’état civil.

    — Vous plaisantez, je présume ?

    — Mes missions ne me permettent pas de faire une réservation trois jours à l’avance et de plus c’est mademoiselle qui m’invite alors voyez avec elle.

    Lise s’en tire très bien et la serveuse nous dirige vers une table au fond de la salle. Les quelques vieux messieurs assis me dévisagent comme si j’allais violer leur petite fille ramassée à la sortie de la primaire. Ils ne sont pas offusqués par la poulette qui pourrait être leur fille et qu’ils espèrent consommer sur canapé à l’étage.

    Lise passe commande comme une habituée de la maison.

    — Et pour les vins mademoiselle ?

    — Pour garder la main sure, monsieur Bond ne prend pas de vin seulement du Perrier qui est si j’en crois l’étiquette le Fournisseur Breveté de sa Majesté le Roi d'Angleterre.

     

     

    Lise me parle de ses projets, de l’atmosphère familiale un peu stricte. Le père avec son affaire de papèterie. Les odeurs de papier neuf, de colle, les fournitures qui encombrent même l’appartement à certaines périodes. Elle me parle des inventaires fastidieux, harassants et de la poussière de papier qui racle la gorge.

    — Comment se fait-il que vous fréquentiez le Club de quarante ?

    — C’est ma mère qui fait la liaison entre les œuvres de charité du temple et le cercle. Nous sommes seulement invités aux grandes occasions.

     

    Elle partage sa chambre avec sa grande sœur. Nadège est une brave fille qui est subjuguée par un père absorbé par ses affaires et sa mère Liliane corsetée par les principes de son éducation chez un pasteur calviniste.

    Partagée entre la broderie et les cours de clavecin elle vivote ne sachant prendre une initiative.

    Lise par contre a su s’affranchir de certaines contingences et au vue de ses succès scolaires a pris certaines libertés sportives.

    — Ta sœur n’a pas un amoureux ?

    — j’aimerai bien et c’est ma hantise de me marier avant elle mais elle ne prend pas le chemin pour trouver un mari.

    — N’y a-il pas un employé à la papèterie qui voudrait se dévouer ?

    — Il y a bien Gaston mais il ne pense qu’à me pincer les fesses pendant les inventaires et puis il ne peut faire l’affaire il est libre penseur.

    — Un libre penseur ! C’est impensable de penser à le prendre comme gendre.

    — C’est comme tu dis.

     

    Je juge qu’il va m’être difficile de m’introduire dans la famille. Pendant ce temps Lise babille. Elle évoque les pompom comme une fenêtre sur une modernité hors de sa sphère.

    — As-tu un petit ami ?

    — Tu es louf ! Avec mon père ce serait le drame.

    — Pas même un béguin ?

    — Il y a des rumeurs qui courent sur moi.

    — Tout le monde traine des casseroles.

    — Si des garçons essayent de sortir avec toi pour la bagatelle et que tu les envoie balader ils racontent des horreurs. Moi, au début c’était Sainte Nitouche puis ils ont voulu me salir. Ils m’ont surnommée Sainte-levrette.

    Quand on est entre filles ils nous accusent d’être lesbiennes et si on discute avec un garçon on passe de suite pour une salope.

    — Vous avez votre revanche en ayant de meilleurs résultats scolaires.

    — C’est pour cela qu’ils sont mauvais ils ne pensent qu’avec leur…

    — Hypophyse.

    — Tu la place bas ton hypophyse.

    Tu es déjà surement sortie avec un garçon ?

    — Idiot !je suis encore vierge mais si tu insistes, je n’aurais pas le courage de le rester longtemps. Mon béguin c’est toi, Tu es rentré dans ma vie à un moment où je ne m’attendais pas à penser à l’amour.

     

    Le foie gras méritait mieux que le genre de biscottes rôties l’avant-veille. Le champignon forestier des sauces faisait appel à un renfort de cousins Parisiens pour étoffer ses rangs. 

     

    Je parcoure le livre d’or de l’établissement bien en évidence près de la caisse. Aucun notable de la région par contre des célébrités artistiques de tout l’hexagone en abondance.

    L’addition me parait normale. On ne truande pas un homme à la gâchette facile.

     

    — Je stoppe le véhicule au sommet d’une éminence. De l’herbe à vache genre luzerne couvre une prairie sympathique. La nuit étant survenue pendant notre halte aubergistique je prends une lampe de poche pour éviter d’éventuelles fumures des ruminants qui ont dû hanter ce lieu en toute légitimité. Lise marche précautionnèrent derrière moi en s’efforçant de mettre ses pas dans les miens comme en terrain miné. Elle porte son sac je me suis chargé du couchage. Après une minutieuse inspection nous décidons d’un endroit. Lise s’inquiète tout de même.

    — Les fourmis, ont-elles une activité nocturne ?

    Bonne question mais je préfère répondre par la négative. Le ciel est noir d’encre mais quelques nuages au loin semblent vouloir pourrir la fête. Lise étale la couverture et me demande de me retourner

    — J’enlève mes vêtements pour ne pas les piller

    — Mais ce n’était pas prévu !

    — Rassure toi j’enfile mon pyjama.

    Lise se coule sous le plaid de mohair. Je la rejoins et m’écarte d’elle au maximum.

    — Tu as peur de moi ?

    — Après tes confidences à l’auberge j’ai aussi peur de moi. L’école buissonnière de nuit je devrais être payé double.

    — Je t’embrasserai donc sur les deux joues.

    — Regardons les étoiles filantes.

    — Il faut faire un vœu quand elle passe.

    Le ciel se zèbre par instant et Lise qui s’est rapprochée de moi me prend la main.

    — Quel vœu as-tu fais ?

    — La révélation annule le vœu

    — Mais on est entre nous

    — Possible mais c’est comme ça.

    Sous prétexte d’une brindille qui la gratte Lise allume la lampe sous le plaid.

    J’entraperçois la coquine en culotte petit-bateau et soutien-gorge de gamine en coton blanc souligné par un liseré rouge aux coutures. Si elle n’est en simple appareil je suis surpris par l’appareil simple où je la vois. Loin de susciter une envie sensuelle je me trouve enveloppé d’un sentiment exquis fait du désir de chérir, protéger et conserver ce corps qui attend dans la tiédeur voluptueuse du plaid.

    — Hello Mr Bond, bien silencieux ?

    Je suis en train de fixer le ciel hors du temps. Elle s’approche de moi et pose sa tête sur mon épaule. Ses cheveux roux sombre viennent chatouiller mes narines et m’offrent un parfum discret qui suscite l’image d’un jardin de fleurs au printemps.

     

    J’ai cinq ans, l’oncle Albert vient de me sortir de l’orphelinat qui m’avait recueilli au décès de mes deux parents. Je suis sur les genoux d’Hélène dans le rockingchair du jardin et je ne sais pas si c’est elle ou la glycine qui exhale un si suave parfum. Hélène, la maitresse de maison de l’époque, m’avait pris en affection. Elle avait toujours pour moi dans la poche aux secrets de son tablier des sucettes au caramel

    Alors seulement à cet instant je comprends que c’est l’oncle Albert qui a laissé l’Amérique et son amoureuse américaine pour prendre le relai de mes parents défunts.

    Je ressens encore la douceur des bras d’Hélène ainsi que la tiédeur de sa bouche qui me chuchotait à l’oreille des secrets que je ne pouvais comprendre. Oh yes my little Bob, listen and keep my secret

    . Maintenant je réalise qu’elle devait être amoureuse de l’oncle mais que lui endurait son chagrin amoureux. Elle est repartie dans son Australie natale. Y a elle été heureuse ?

     

    — Monsieur Bond revenez sous la couette.

    — Mais tu n’as pas enfilé ton pyjama ?

    — C’est pour être plus près de toi.

    Elle prend ma main et la pose sur son sein gauche.

    — Tu sens mon cœur comme il bat ?

    — Le cœur c’est plus bas qu’il bat

    — Ta main est bonne comment ai-je pu m’en passer jusqu’à maintenant

    — Qui ne connait pas ne désire pas.

    Elle se presse contre moi et se pelotonne dans mes bras

    — Mademoiselle Lise ne tentez pas le diable il court d’autres campagnes et permettez-moi de vous respecter aussi physiquement que je vous respecte intellectuellement.

    — Monsieur zéro zéro sept vous n’êtes pas marrant. Vous avez tourné la tête de toutes les Pompom et surement de Sabrina en prime. Vous avez une réputation à défendre. Comment allez-vous pouvoir sauver le monde si votre popularité s’effrite ? Répondez Monsieur Bond, le monde libre a besoin de savoir.

    — Bond est un gentleman et il ne s’attaque pas aux petits poissons qui passent à travers les mailles du filet. Que dirait Monsieur votre père si je lui ramenais demain ou plutôt ce matin une fille en larmes chagrinée par le remord d’un moment d’égarement ?

    — Père dirait : Je vais lui casser sur le dos la grosse règle publicitaire de la vitrine de gauche

    — J’ai bien peur qu’il fût dans l’obligation de briser sa règle à votre retour.

    — Bond n’a peur que d’Andrew Bond son père et de Miss Moneypenny

    — Il a surtout peur d’un papetier jaloux de la vertu de sa fille.

    — Père a fait de l’escrime jadis il pourrait vous provoquer en duel pour laver mon honneur

    — Dans quelle famille je vais mettre les pieds. Et votre mère as elle pratiqué le tir au pistolet ?

    — Non mais elle est une bonne cuisinière et elle brandit une fourchette à gigot pour piquer les fesses des importuns.

    — De grâce arrêtons là, gardez la voiture je rentre à pied

    — Gros bêta embrasse-moi un peu au lieu de dire des bêtises.

    — Je dois préserver la frêle jeune fille qui m’a embarqué dans cette galère aussi point de baiser avant les fiançailles et de b…avant le mariage.

    — Avec ces principes je vais finir vieille-fille comme ma sœur.

    Nous nous concentrons sur les Lyrides mais au bout d’un moment Lise est partie au royaume des songes chimériques.

     

    A l’aube je réveille la douce sirène qui m’a entrainé dans un maelstrom de complications et commence à plier le camp. Lise se dresse torse nu et secoue sa crinière légèrement emmêlée.

    — Ce n’est pas tes caresses qui m’ont empêchée de dormir. Qu’est-ce que tu attends viens m’aider à remettre mon soutif.

    Je pense que l’oncle Albert va avoir une délicate démarche d’ambassadeur pour plaider ma cause auprès de ce père jaloux de la pureté de son tendron et de la réputation de sa famille.

     

     

    Attablé au Tonneau avec Guy Médis nous attendons les filles de l’équipe.

    — Alors comment va Sabrina ?

    — Très dur ! Pour elle je suis un gamin.

    — Ah Le charme des petits français, c’est quelque chose d’indéfinissable comme qui dirait une armure invisible qui vous rend invincible un instant, mais il faut la revêtir au bon moment.

    — Moi je n’ai pas encore trouvé l’opportunité de lui parler seul à seul.

    — Mon oncle Albert s’est retrouvé seul à Los Angeles mais avec un peu d’anglais et du bagou il a réussi en pas longtemps à séduire une grande vedette. Il a même failli se marier avec du moins il aurait voulu.

    Armande s’affale sur la banquette et dépose deux sacs des galeries Lafayette.

    — Ma mère m’a envoyé changer un pyjama pour le grand-père. Impossibles de trouver la bonne taille. J’ai dû prendre un autre model.

    — Mais et l’autre sac ?

    — J’ai craqué pour un pull en mohair.

    Sophie et Lise arrivent.

    — Le mohair c’est beau mais bonjour pour l’entretient ta mère va être ravie.

    Sabrina se pose à son tour et le garçon s’empresse de prendre la commande. Dès qu’il a disparu Sabrina réclame notre attention.

    — Arrêtons de parler chiffons nous devons organiser la soirée de l’école. Nous pensons proposer le thème du Moulin-Rouge, le Cancan en costume. Guy pourrait faire Valentin le désossé en frac.

    S’en suit un brouhaha où tout le monde met son grain de sel. On part tout azimut et les oreilles commencent à s’échauffer. Je prends la parole pour mettre tout le monde d’accord

    — D’abord le cancan c’est une danse pas facile il aurait fallu répéter plusieurs mois et vous n’avez que quarante jours. D’autre part vous n’êtes pas assez nombreuse c’est très physique et une entorse peut tout compromettre. Et puis les jupes relevées pendant tout le spectacle vous risquer de prendre froid. Je provoque un petit fou-rire. Mais le plus grave c’est la catastrophe si une danseuse oublie son pantalon de dentelle.

    L’éclat de rire de Guy fait retourner plusieurs consommateurs aux alentours. Les demoiselles arrivent enfin à retrouver leur calme.

    — J’opterai plutôt pour « Gatsby le magnifique » vous êtes tous en costumes mille neuf cent trente et le Charleston c’est une danse facile à apprendre avec des figures sympa à la clé.

    Les demoiselles arrivent enfin à conclure que c’est une bonne idée à étudier.

    — Et puis c’est un clin d’œil pour Sabrina c’est un truc de chez elle. Mais il vous faudra plus de garçons embauchez vos frères.

    Cet argument arrache la décision. Guy propose.

    — On peut faire les costumes chez les Saujon, Georges a un atelier de couture chez lui.

    Armande lui demande.

    — Mais alors Ce Georges c’est Georgette ! Est ce qu’il en est ?

    J’interviens pour temporiser.

    — Qu’il en soit ou pas, cela ne nous regarde pas, mais je pense que les demoiselles n’aurons pas à dresser une barrière pendant les essayages. Par contre Guy, il vaudrait mieux pour les garçons louer les costumes.

    Le sujet tourne maintenant aux pompoms et aux prochains rendez-vous. Moi je dois m’esquiver mais avant.

    — Mes demoiselles, comme vous êtes sages et que vous prenez bien tous les soirs votre huile de foie de morue après la soirée du lycée je vous amènerai à la campagne chez mon ami Bruno faire du paintball dans son domaine. Tenue : pantalon et baskets. Choisissez des vêtements rembourrés.

    — L’après-midi ?

    — Non, du vendredi au dimanche midi nous dinerons et dormirons sur place donc prévoyez votre brosse à dent et votre bonnet de nuit.

    Je ne vous décris pas l’étonnement et la joie de l’équipe. Sabrina aura du mal à calmer son escouade.

    Guy propose à Sabrina de la guider sur les curiosités de Lyon et de sa région. Pauvre maman Carole Elle ne va plus reconnaitre son rejeton s’il devient le chevalier servant de cette pétulante américaine.

     

    Après de multiples répétitions et séances d’essayages Sabrina semble avoir réussi à dompter son équipe de danseurs et de figurants. Elle a pris contact avec le Hot-club qui va lui fournir pour la soirée un groupe de musiciens jazz.

     

    La salle est comble de parents et d’amis. Les instances du lycée un peu réticentes au départ se sont laissé convaincre et cette réunion de contact courtoise qui se transforme en une véritable fête de l’école.

    Sur l’estrade Graziella interprète caprice n°24 de Paganini. C’est un monument pour une jeune élève et son violon semble crier sous les coups saccadés de l’archet puis pleurer dans les passages lents. Cet intermède permet aux artistes de préparer leurs costumes.

    Evening at the great Gatsby.

    Le rideau se lève sur deux couples qui valsent au son d’un antique phonographe. D’autres couples sont attablés côté cour et côté jardin. Par moment un serveur en gilet noir et tablier, un énorme plateau en équilibre sur une main, passe servir les tables. Un groom d’hôtel en habit rouge porte ce qui est censé être un télégramme sur un petit plateau d’argent ou un téléphone de nacre suivi d’un long fil. À sa vue un bambin dans la salle crie ; « C’est Spirou ! » et provoque les rires de l’assistance.

    Discrètement les musiciens de jazz s’installent et attaquent les premières mesures de swing Fini la valse les couples se lèvent et se mettent à danser le Charleston. Seul Gatsby, en smoking et chapeau claque huit reflets, semble attendre impatiemment sa cavalière. Les paillettes des robes en lamé des dames jettent des éclairs. Les colliers de perles métalliques tintinnabulent pendant que les jambes frétillent aux rythmes endiablés du New Orléans.

    Alors arrive Daisy vêtue d’une longue cape qui traine derrière elle. Un long fume cigarette et un éventail noir de plumes d’autruches dans ses mains gantées de velours noir.

    Les danseurs délaissent leurs cavalières pour la débarrasser. L’un prend le fume cigarette, l’autre la cape un autre l’éventail. Daisy comme une reine la tête ceint d’un bandeau assorti à sa robe charleston s’avance vers Gatsby en laissant trainer un immense boa de plumes noires.

    Elle s’attable avec lui et les danseurs retrouvent leurs cavalières. La musique s’arrête tout le monde s’assoit.

    Le phonographe joue une valse anglaise. Daisy et Gatsby dansent très lentement pendant que les autres danseurs, attablés, les regardent.

    Puis à nouveau le charleston et toute la troupe danse frénétiquement.

    Au final Gatsby s’avance et déclame la dernière phrase du livre de Francis Scott Fitzgerald.

    — C'est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé.

    Gros succès et les applaudissements obligent les interprètes à venir saluer plusieurs fois.

     

    Nous nous retrouvons devant les tables du cocktail qui clôture la soirée. Sabrina et Guy me rejoignent et nous les félicitons quand un petit coquelet rouquin et belliqueux interpelle Sabrina.

    — Quelle idée de faire se trémousser des adolescents dans une institution respectable sur des rythmes de sauvages et dans des costumes qui frisent l’indécence.

    Sabrina piquée au vif.

    — Une scène des femmes savantes n’aurait pas eu l’adhésion des jeunes Il faut être de notre temps pour les préparer à leur vie future.

    — Moi j’essaye de préserver au maximum ma famille et j’estime que mes enfants auront bien le temps d’être confronté aux épreuves de la vie.

    Le petit coq se calme un instant et sur le point de partir il me demande.

    — Êtes-vous le neveu de Monsieur Albert ?

    — J’ai cet honneur et même je travaille dans son entreprise.

    — C’est donc vous qui allez briser vos joujoux dans l’océan. Vous feriez mieux de faire un travail constructif

    — Avec mes petits bateaux j’ai fait des tests de résistance pour des colles qui vont entrer dans l’assemblage d’unités importantes. Les tests en laboratoire ne fournissaient pas toutes les garanties.

    — Alors retournez à vos petits bateaux et laissez mes filles tranquilles.

    — Au passage présentez mes amitiés à Nadège.

    — Vous connaissez Nadège ? Il connait Nadège ! Saperlipopette il connait Nadège !

    Pauvre Nadège qui va subir les questions du coq courroucé.

     

     

    Avec ses équipiers Maurice a fait une prestation de musculation dans une crêperie du centre. En retour les patrons les ont invités à venir avec ses amis. Comme par hasard la cidrerie de Brocéliande propose ce jour-là une dégustation dans l’établissement. Nous voici tous attablés devant des crêpes arrosées au cidre de Brocéliande comme il se doit.

    Les crêpes se succèdent mais le cidre fait place maintenant à un breuvage plus tonic.

     Lise et Sabrina s’esquivent un moment avec leurs grands sacs et reviennent en Pompom.

    Elles ont des uniformes, très sexy d’un minishort-short et d’un boléro étoilé sur un chemisier noué très haut devant. Elles nous font un aperçu de leur prestation qui enchante et réjouit la salle. Puis elles entament un exercice où elles ont demandé au public de crier « You ».à chaque lancé de ponpon. Ça commence tranquille puis le public se déchaine. Elles repartent vers les coulisses improvisées sous les applaudissements et les You de bonheur.

    Pour les remercier le représentant de « Brocéliande » nous amène une bouteille de « Goutez moi ça vous m’en direz nouvelles ».

    Bruno fait le service. Françoise déclare :

    — Je suis déjà presque paff.

    Elle retourne son verre et pose sa main dessus. Bruno qui n’y fait pas attention commence à verser et mort de rire s’esclaffe vers Maurice

     — Quel gâchis Si elle te fait ça le soir de vos noces !

    Françoise prend la mine qu’il convient et malgré ses oreilles chauffées au rouge.

    — À la vitesse où vous buvez le soir de mes noces vous serez déjà à ronfler sous la table.

    Bruno de surprise repose la bouteille et mime une Françoise sous son bras gauche quand de la main droite il lui assène une fessée.

    — Ce sera pour vous une fessée républicaine.

    Grosse erreur de Françoise, il ne fallait pas répondre à un Bruno devant titrer plus d’un gramme d’alcool.

    — Qu’est ce qu’elle a de plus votre fessée républicaine ?

    — Elle est sans culotte !

    Bruno se marre tellement de sa répartie qu’il s’étouffe presque. Il s’éponge les yeux de la serviette en papier qui a précédemment servi à Sabrina pour se démaquiller. Résultat un Bruno clownesque barbouillé de rouge et de noir.

     

    — Je suis complétement paff.

    C’est Guy. Pour lui c’est sa première cuite. Comme il a l’alcool prolixe il devient exubérant Le voila en train de nous dévoiler quelques travers de ses géniteurs.

    — Mon père s’est tiré au Venezuela avec la cuisinière parce que ma mère batifolait continuellement d’abord au cercle du quarante puis à des endroits invraisemblables Il y avait aussi la mauvaise influence de Josette qui lors des soirées arrosées se foutait à poil et excitait tous les mâles de l’assistance avec son célèbre et fameux strip-tease. Grand-mère lors de quelques prises de bec mémorables reprochait à ma mère de s’accoquiner avec une souillon qui avait séduit un vieillard sénile pour lui faire reconnaitre un polichinelle de contrebande.

    Nous voilà renseignés. Espérons qu’il n’énumère pas la sphère des oncles et tantes de la famille.

     Pour aérer les haleines et les esprits nous allons faire un tour vers les fleuves. Immanquablement les couples se constituent. Maurice tiens la main de Françoise, Guy a suffisamment récupéré pour expliquer à Sabrina la Saône et le pourquoi de ses méandres lascifs lovés dans la ville. Bruno marche silencieusement aux cotés de Nadège mais on suppose que leur dialogue n’a pas pour l’instant besoin de mot. Lise a pris ma main et ne dit rien mais m’attire doucement vers elle.

     

    Maurice consacrait un peu de son temps libre à préparer une riposte aux sévices exercés par Marcelle. Il attendait un coup de téléphone de Françoise lui annonçant la visite de sa tortionnaire et espérait que le scénario qu’il avait ourdi se déroulerait comme prévu, mais Marcelle occupée par les préparatifs de ses Fiançailles regrettait de ne pouvoir aller assouvir ses caprices.

    Elle imaginait avec envie la baguette souple châtiant les fesses pansues, la palette de bois d’olivier claquant sur les cuisses arrondies, le rameau de houx pour cingler les mollets potelés de sa victime. Elle prenait le vertige en pensant aux seins de son amante qui étaient tout ce qu’elle aurait aimé avoir. La proportion idéale pour une main caressante, une forme de poire tout juste évoquée et l’aréole grenue et colorée d’un rose diaphane qui lui donnait des ivresses. Elle aurait aimé se délecter et les martyriser, les pincer, les mordre jusqu’au sang mais son amour pour eux l’en empêchait Elle n’ambitionnait qu’à les savourer.

    Dès la porte franchie Marcelle commence ses brimades verbales.

    — Je ne t’ai pas manquée ? Alors ces piqures qui te faisaient mal enfin guéries ?

    Françoise ne répond pas. Marcelle se laisse tomber sur le divan mais se relève aussitôt

    — Ail !qu’est-ce que tu as foutu dans ce coussin,

    — Moi, rien.

    Maurice en profite pour se montrer.

    — C’est moi qui ai trouvé ces petits agaces-cul. J’ai trouvé assez amusant de les semer de ci de là dans l’appartement, j’ai pensé en faire profiter les invités de Françoise mais ce n’est que par esprit d’espièglerie d’adolescent. J’aurais pu aussi user sur les visiteurs des petits accessoires du tiroir du bas de la commode, mais ça aurait été envoyé le bouchon un peu loin. En attendant nous allons trinquer pour effacer tout arrière pensé équivoque.

    — Je ne bois pas d’apéritif.

    — J’ai amené un Chivas-régal d’exception il ne faut pas manquer cela.je vous en verse une larme pour trinquer à l’oubli de toutes ces broutilles.

    Marcelle trempe ses lèvres dans son verre pendant que Maurice écluse le sien d’une lampée.

    — Allez ! Cul-sec.

    — Je n’ai pas l’habitude de boire si tôt.

    Marcelle finit son verre et Maurice l’en débarrasse puis l’élevant au niveau de ses yeux il regarde au fond.

    — Vous croyez que je suis un bon à rien ou presque. Un monsieur muscle sans éducation bon qu’à faire de la représentation de bidoche, en somme un fier à bras.

    — Mais non seulement vous ne parlez pas souvent de vous.

    — Parallèlement à la gonflette dans les salles de sport j’ai suivi des études de pharmacien.

    — Mais c’est tout à votre honneur.

    — Voyez-vous, en cinq années d’études, ce qui m’a le plus étonné, c’est la solubilité de l’adiactophtaléine dans l’alcool. C’est le plus puissant laxatif connu.

    — Je ne vois pas où vous voulez en venir.

    — Tout cela pour vous dire qu’il y en avait une dose importante dans votre verre. Rentrez vite chez vous par le plus rapide des chemins et attendez-vous à tenir la chambre une bonne journée. C’est ma façon de dédommager Françoise et de vous faire toucher du doigt que chaque action engendre une réaction tôt ou tard.

    Devant la mine incrédule de Marcelle il renchérit.

    — Je vous laisse imaginer les fous rires qui nous attendent quand nous repenserons à vos désagréments. Et sachez que si vous exerciez la moindre contrainte sur Françoise, je me ferai un plaisir de narrer toute l’histoire à l’ensemble de nos connaissances afin de leur faire partager l’opinion que nous avons de vous et leur procurer un sujet de récréation bien croustillant.

    En la reconduisant à la porte Françoise lui suggère :

    — Marcelle ! Dépêche-toi de rentrer Maurice ne plaisantait pas.

     

     

    Nous nous répartissons dans la vieille Peugeot et la super Golf turbo de Maurice. Lise et Nadège occupent la banquette arrière de la Peugeot. Guy en tant qu’ex-collaborateur a pris d’office la place à mon côté. Pour ne pas faire du genou au tennisman Sophie s’accroche à la portière. Guy nous parle de son nouvel entraineur qui le fait travailler avec assiduité. Il l’a inscrit dans une salle de musculation et lui fait faire en piscine une trentaine d’aller-retour en crawl avec une ceinture de plomb autour du ventre. Le pauvre petit s’en est ouvert à sa maman qui d’emblée a été voir ce bourreau de travail. Elle est revenue enchantée de cette entrevue et dorénavant…Quand je pense à la puissance des petites dentelles mauves et surtout aux vertiges que suscite cette charmante vallée profonde et mystérieuse…

     

    Nous arrivons à la propriété. Elle n’est pas si loin de Lyon et Bruno envisage d’en faire un terrain officiel de paintball.

    D’abord les sacs sont répartis dans les dortoirs Pour les dames c’est les pièces rénovées à l’étage de la bâtisse. Pour les hommes ou assimilés les chambres se trouvent dans la grange et bénéficient d’un confort plus que sommaire. Des toiles séparent des couchettes et une chaise pour chaque occupant résume tout le mobilier. De forts clous sont fichés dans le mur de pisé et sont sensés servir de porte manteaux. Une pancarte prévient qu’il ne faut pas laisser les nids de souris pour déplier ses couchages. Guy en lisant l’écriteau regrette fort la grande bâtisse.

     

    Bruno est un homme pratique au menu viandes braisées. Il s’active devant un barbecue et pour stimuler les braises il n’hésite pas à employer un souffleur électrique.

    — Quand je l’ai construit j’aurais dû y inclure un soufflet de forge j’aurais gagné du temps.

    Les cendres volent partout mais le Bruno n’est pas gêné pour si peu.

     

    Au-devant de la maison deux tables tirées d’une seule bille de bois semblent peser une tonne. Elles constituent avec plusieurs bancs d’église le réfectoire. Une cloche nous indique que le diner est prêt.

    — Dépêchez-vous et tant pis pour les retardataires il n’y en aura pas pour tout le monde.

    Ces dames descendent par l’escalier extérieur en s’émerveillant du paysage entrevu entre les branches.

    Un plat fumant de patates cuites sous la cendre suit la planche où le cuistot a déposé les pièces de bœuf grillé. Sabrina retrouve l’ambiance des partys américaines, Sophie et Armande sont désappointées devant la taille des morceaux par contre Maurice en met deux dans son assiette comme à son habitude. Françoise chipote en enlevant le gras, le brulé, le pas cuit, et le trop cuit.

    — On ne va pas pouvoir manger tout ça !

    Bruno semble étonné

    — Ce n’est pas des gros morceaux, moi j’en mange deux sans problème mais les filles dites-vous que la campagne ça creuse et qu’il va vous falloir des forces pour la partie de gendarmes et voleurs de cet après-midi.

    Guy se brule les doigts avec les patates et s’étonne qu’elles ne soient pas épluchées. Bruno ne peut s’empêcher.

    — Ben mon Guitounnet la maman, elle doit encore te donner le sein.

     Les filles pouffent dans leur assiette. Guitounnet souffle sur ses brulures.

    Je vois Nadège statufiée qui regarde Bruno l’air transfiguré. Elle en oublie de reposer le verre de moutarde.

    A ce moment Françoise s’étonne.

     Comment se fait-il que vous n’ayez pas de serviettes ?

    — Nous sommes à la campagne, la manche droite pour le salé et l’autre pour le sucré, le bas de la chemise pour essuyer les lunettes et pour se moucher…

    — Arrêtez nous sommes à table !

    Elle se lève et fait mine de partir. Armande et Sophie la suivent et arrivent à la raisonner pendant ce temps Nadège va parler à l’oreille de Bruno. Celui-ci se lève pour aller faire des excuses. Quand on connaît le Bruno on se dit que la demoiselle a réussi à dompter l’homme des bois profonds et surtout la tête de cochon qui veut toujours avoir raison en public.

     

    Pour détendre l’atmosphère Nadège regrette qu’il n’y ait pas de piano à la campagne

    — Lise aurait pu nous chanter quelques airs j’aurais pu l’accompagner en musique.

    Bruno rétorque

    — Mais moi j’ai un piano ! Je vais vous le chercher.

    Au bout d’un moment il revient avec un petit piano rose mignon qui a du faire le bonheur d’un bambin.

    — C’était le jouet de ma mère elle l’a gardé pour moi mais j’étais plutôt fait pour les meccanos que pour la musique.

    Nadège se lève, et le pose sur la table et fait courir ses doigts sur les touches.

    —Il est en très bon état madame votre mère était une enfant soigneuse. En fait on peut s’en servir si vous le permettez.

    Bruno permet, très intimidé et Nadège commence par jouer « Etoile des neiges ». Les demoiselles commencent par fredonner puis se libèrent et c’est la chorale un peu faussée par Françoise qui chante du nez comme un canard. Puis on passe à des mélodies plus actuelles. Armande propose de chanter « L’aigle noir » Sa voix chaude monte peu à peu plus affermie dans un silence troublé soudain par un petit oiseau qui du haut d’un arbre laisse échapper un trémolo puis se sauve porter son message plus au loin.

    — Sabrina félicite son élève pour la qualité de son chant.

    — Dix ans de chants d’église vous forgent le tempérament quant au répertoire c’est ma belle-sœur qui aime Barbara.

    Je vais chercher la guitare qui traine dans le salon et après quelques accords Bruno nous chante « Le sud » Le piano prend le relais dans le final. Pour continuer « Santiano » permet aux mâles de l’assistance de pousser la chansonnette. Bruno nous fait revenir sur terre.

    — C’est pas l’tout ! Mais si vous voulez faire des jeux cet après-midi il faudrait s’activer. Sabrina propose une dernière avec « The yellow submarine » pour nous faire réviser notre anglais. On ne peut rien refuser à Sabrina surtout Guy qui a les yeux brillants en la regardant.

    Elle enchaîne « All you need is love”.

    A ce moment une grosse Citroën XM fait son entrée dans la cour suivie d’un panache de poussières. Lise se lève d’un bon.

    — C’est les parents.

    Nadège reste interdite devant son piano de pacotille.

    Le petit coq rouquin en descend suivi d’une dame falote. Les mains sur les hanches il fait un tour d’horizon et hochant la tête il s’adresse à Liliane, l’endive qui lui sert d’épouse.

    — C’est là que nos enfants viennent dans la France profonde s’en paysanner. Regarde ta fille à qui j’ai payé un Pleyel et qui joue sur un bastringue, quand à l’autre elle se trémousse sur des bancs rustiques au risque de se prendre une écharde dans les fesses.

    Bruno s’avance et salut les arrivants.

    — Je vous souhaite la bienvenue sur mon domaine.

    — Son domaine ! Mais il croit avoir un château le bougre. Liliane Fais les valises de tes filles on s’en va.

    C’est un peu la stupeur dans notre groupe et le vieux trouble-fête a l’air, les poings sur les hanches de savourer une victoire digne d’Agamemnon sur les cendres de Troie.

    Les filles se sont réfugiées dans la cuisine pour préparer le café tandis que Guy a pris une envie pressante d’aller ranger sa valise Maurice le suit pour lui emprunter un rasoir quant à moi je vais au salon ranger le petit piano et la guitare. La famille Papier-vélin reste entre soi pour une mise au point en toute intimité.

     

    Nadège, furieuse s’avance vers son père.

    — Non ! Moi je ne pars pas, tu ne vas pas encore faire ton despote ! Nous avons un grand malheur dans la famille c’est l’immobilisme traditionnel. Tu veux nous élever comme des petites filles modèle tu fais tourner ta papèterie comme un boutiquier Louis-philippard un détaillant de comptoirs ! Trois plumes par ci deux cahiers par là c’est de la dilettante.  

     

    Le coq sur ses ergots brassait l’air de ses bras comme un moulin de Don-quichotte.

    — Me traiter de dilettante moi qui fait tout pour mon commerce moi qui m’use les yeux sur mes cahiers de compte jusqu’à minuit. Et que dois-je faire selon mademoiselle ?

    — Tu n’as cas mettre deux caissières à l’entrée avec un vigile et Gaston pour approvisionner les rayons tu n’a cas en faire un libre-service, vendre les crayons par douzaines les cahiers en paquets de six Il faut que le client touche, palpe, sente le plaisir du vernis sous ses doigts, hume l’odeur des papiers de luxe pour en avoir énormément envie que cette envie soit irrésistible et qu’il achète même s’il n’en a pas besoin.

    — Mais les clients vont le voler !

    Sophie qui apporte les tasses lève le doigt et de sa petite voix fluette se permet d’émettre :

    Cela s’appelle la démarque inconnue et fait partie du prix de revient environ un pour cent du chiffre d’affaire. Le vigile que vous aurez à la sortie sera chargé de la faire diminuer au maximum. Mon père pratique ce genre de vente dans sa superette et les bénéfices se sont accrus.

    — Mais c’est énorme vous voulez me ruiner. Ainsi vous voulez révolutionner ma boutique

    — Oui pour en faire un commerce. Désormais tu n’auras plus à dicter et à contrôler mes actes. Moi je reste et en plus j’ai l’honneur de te présenter mon fiancé.

    — C’est nouveau ! Elle a un fiancé maintenant, je voudrais bien voir ça !

    Et le doigt pointé désignant Bruno qui arrive avec une énorme cafetière d’antan.

    — Je te présente Bruno mon fiancé, et les noces se feront ici. 

    C’en est trop c’est pire qu’une révolution.

    Le papetier écume de rage et de fureur.

    — Lise je t’emmène !

    — Père permet moi aussi de te présenter mon fiancé !

    Elle vient à moi j’ai les bras chargés de la boite à sucre des familles. Elle me prend par la main. Le gallinacé courroucé reste statufié. Liliane le prend par le bras et vient l’assoir Sur le banc.

    — De grâce donnez-lui à boire.

    Bruno s’excuse.

    — Ici il n’y a que de l’eau et avec près de trente mille bêtes à cornes je ne produis pas une goutte de lait. J’élève des escargots dans des serres.

    A voir la tête des deux arrivants, ce serait à immortaliser sur argentique. Le boutiquier s’exclame :

    — Le berger des escargots !ma fille veut épouser le berger des gastéropodes. On doit pouvoir suivre les fuyards à la trace.

    Bruno sent la moutarde de la fureur lui monter au nez mais d’un autre côté il ne veut pas fâcher le futur bon papa

    — Monsieur ! Je n’ai pas de fuyards ils sont biens chez moi. Et quand je les fais voyager c’est en paquet de vingt-quatre pour qu’ils ne se sentent pas seuls. Et se tournant vers Liliane

    — En attendant les braises sont encore actives si vous voulez manger un morceau ?

     

    Malgré sa mauvaise grâce à l’admettre le futur père des demoiselles doit convenir que la viande est bien bonne. L’eau de source fraiche et l’air bon à respirer quand la fumée du foyer ne la poivre pas de senteurs odorantes.

    Bruno a sorti pour les hommes le produit d’un bouilleur de cru dont la concession trentenaire au cimetière doit être à renouveler bientôt. Bruno n’ose pas dire cul sec alors il dit simplement.

    — Si vous voulez rester dormir il y a de la place. En principe le bâtiment est réservé aux dames et les messieurs dorment dans la grange mais, pour vous, je vous laisse la chambre des parents.

    Liliane aurait tendance à accepter ne serait-ce que pour voir ses filles mais le vieux a des principes

    — Je ne veux pas déranger vos parents, nous irons à l’hôtel

    — Mais ici il n’y a pas d’hôtel il faut aller à Pissieux c’est à vingt bornes.

    — C’est confortable au moins

    — Pissieux c’est Pissieux, l’hôtel a trois chambres mais avec le fête du rosaire au village ce dimanche…

    Liliane tranche d’un

    — On dort ici.

     

    Le dimanche le papa a chargé ses filles dans sa Citroën ainsi que le Guitounnet chéri de sa maman, Maurice sa Françoise dans sa Golf. Et moi je fais la voiture balais avec les pompom

     

    Le petit papetier gendarme faisait équipe avec ses futurs gendres, s’amusait comme un gamin à courir après les voleurs. Les billes de peintures ne claquaient pas toujours sur les participants et le soir à la veillée accompagné au piano basting il nous a chanté le répertoire de Tino Rossi qu’il admirait en son temps.

    Nous avons eu droit au plus beau tango du monde, Marinella, le chant du gardian et pour nous achever le petit papa noël.

     

     

    Le président Fabien du club du quarante S’intéresse au sportif qui s’intéresse à sa nièce.

    — Au fait Françoise ce jeune homme qui viens souvent te chercher à ton école ?

    — Maurice ! C’est un garçon très bien. Il est franc et simple. Sa vie se déroule entre son travail, sa mère, le sport et ses amis. Mais depuis qu’il me voit souvent il néglige les amis

    — Que fait-il ?

    — Il est vendeur dans un magasin de sports mais il entretient d’autres ambitions. En dehors des compétitions sportives il espère monter une salle de remise en forme pour des quadragénaires jusqu’aux centenaires.

    — Et tu penses qu’il peut réussir ?

    — Ses sponsors sont prêts à lui aménager un rayon de vêtements et d’accessoires dans son club dès qu’il aura trouvé un local. Tous les samedis nous courons les dépôts et magasins assez vastes mais pas trop cher. Un impératif Maurice souhaite un accès des transports en communs à proximité.

    — Mais alors il a bien étudié son projet

    — C’est un ami dans un cabinet d’affaires qui a fait l’étude. Il ne nous manque que le financement.

    Il n’a pas un sous ?

    — Que si mais il préfère emprunter pour déduire les versements des bénéfices. Ce qu’il a va lui servir de caution auprès des banques.

    — Présente-le-moi, j’aimerai lui parler.

    Le vieux renard se devait d’investir très vite un petit magot que le fisc lui disputait.

     

    Gresac s’improvise architecte, entrepreneur. Il négocie les matériels de sport comme une vraie centrale d’achat. Il réussit à sauver son pécule et présente au percepteur un bilan déficitaire. Au fonctionnaire qui s’étonne il argumente.

    — Voyez-vous c’est au départ une bonne action, le bonheur de ma parente et celui du jeune qui va l’entourer de son amour vaut bien un sacrifice financier.

    — Si vous me le dites !

    — Et pour moi je bénéficierai d’un abonnement à vie pour la salle de forme Je vais gagner dix ans de vie supplémentaire.

    Le percepteur se fiant à la réputation du bonhomme a du mal pour avaler cette fable mais comme les chiffres étaient là il ne peut que classer le maigre dossier

     

    Quoi de mieux qu’un quatre juillet pour ouvrir un club de forme en centre-ville. Sabrina pour l’occasion a invité les américains de la ville à venir y fêter l’indépendence day. La salle est pavoisée de cocardes et de drapeaux américains. Le buffet aussi sera américain et une gigantesque Wonder woman a été peinte sur le mur du fond Une estrade dressée devant va permettre aux athlètes et aux pompom de se produire. La crème du club quarante est de la partie invitée par son président.

     

    Après le laïus du président Gresac et le discours du chargé de mission de l’ambassade US, les dames se pressent, une coupe de champagne à la main, devant le buffet tandis que les yankees se rassemblent près d’une source de Bourbon (pur maïs et blé). Bientôt ces vaillants indépendants seront dépendant des dames pour les reconduire at-home.

    La fête bat son plein Françoise chante New-York mais le micro n’est pas branché. Le chargé de mission espère finir la soirée avec Sabrina si le Bourbon ne le terrasse pas avant.

    Carole veut nous produire son fameux strip mais Gresac lui fait comprendre que ce n’est pas le lieu. Il en profite pour rapatrier tout son cheptel vers le quarante où il a prévu un thé récréatif.

    Nadège admire Bruno qui fait le fort sur un espalier contre le mur. Il n’a l’air de rien mais il n’a pas toujours promené son troupeau d’escargots aux alpages. Encore ado, un sac de grains sur l’épaule il montait à l’échelle de la grange tout une journée après le battage.

    En regardant les pompom Isabelle me prend la main et susurre prés de mon oreille

    —Toutes des gamines et tu perdais ton temps avec ces nymphettes ?

    — Il faut croquer les fruits verts tant qu’il nous reste des dents après même les fruits murs sont trop durs.

    Après son séjour à Paris elle a rajeuni sa silhouette de dix ans, surtout dans l’intimité.

     

    Pour le mariage de Marcelle avec Constantin, les invitations partent tous azimuts. Des faire-part tout ce qu’il y a de plus chic mais avec un bristol signalant les divers établissements où les listes de mariage sont déposées. Des listes qui ne peuvent envier celles de maisons princières. L’oncle Albert me montre celle qu’il a reçue.

    — Tout ce tralala pour unir une lesbienne à un concentré d’unions consanguines. Quand il ne pleurait pas il se pissait dessus. Toujours mouillé aux extrémités. Sa pauvre grand-mère qui se désolait de cette alliance d’intérêts, l’avait surnommé petit-salé.

    — Mais mon oncle il en faut pour faire marcher l’industrie des accessoires d’hygiène.

     

    — En voyant ce genre de spécimen fleurir dans nos familles, tu comprends pourquoi je n’ai pas voulu avoir d’enfant et que je ne me suis pas marié.

    — Et la belle américaine ?

    — Avec elle j’aurais été au bout du monde mais ses managers l’on faite marier à un champion de baseball pour la publicité.

    — Alors qu’as-tu fait ?

    — Je suis revenu en France et j’ai monté mon usine.

    — Iras-tu au mariage ?

    — Probablement pas, je n’ai pas envie de revoir la mère Retaudy, Jade m’avait charmé pendant un certain temps quand le mari était parti avec sa secrétaire. Malheureusement il est revenu et le devoir me l’a subtilisée. Elle a une certaine classe surannée. Celle des impératrices de fin de règne déstabilisées par l’arrivée des nouvelles républiques grossières. Elle ne mérite pas de vivre dans ce siècle.

    — Mais alors tu as bien connu Constantin !

    — A part qu’habituellement il bégaye quand il s’énerve c’est un jeune homme fort présentable. Réformé sans aucun piston ! Pour un rejeton de la bourgeoisie, il faut le faire.

    — Nous l’avons surnommé Vaugelas mais ça reste amical, on ne l’appelle pas comme cela en société.

    — Mais c’est un gros naïf à dix-sept ans à l’occasion des fiançailles du fils Aupage il s’était épris de madame Doucebise et ce gros nigaud a été la demander en mariage, à sa table, devant le mari. On en plaisante encore.

    — Mais quel âge doit-il avoir ?

    — Exactement quatorze ans de plus que la fiancée.

     

    Le matin les époux sont passés en toute intimité à la mairie de Charbonnière dont dépend le futur logement des conjoints. N’assistaient que les proches parents et les deux indispensables notaires. Au passage le contrat de mariage a nécessité dans les études l’énergie assidue de plusieurs clercs

    Avec Constantin ce n’est pas comme au mariage du fils Aupage. À la sortie de la mairie, nous ne risquions pas de subir, dans la foule des invités, une fille-mère en pleure brandissant un mouflet en criant :

    — Et ton fils ! Tu le prends dans la corbeille de mariage ?

     Surtout qu’elle avait comme suite quelques gros bras de sa famille qui voulaient refaire le portrait du père du bambin. J’imagine Michel Audiard, (encore lui !), faire les dialogues de ce scénario.

     

    Pour un beau mariage nous sommes servis. La Chapelle saint Roch étant trop exiguë l’autel est dressé sur le parvis et des chaises sont disposées en trois groupes. Les Saujon ne voulant pas se mêler aux nombreux invités des Rétaudy. De proche en proche des buis en bacs délimitent une allée sensée donner passage aux futurs époux jusqu’à l’autel mais permettant à chacun de choisir son camp. Des petits cahiers roses sont déposés sur les chaises pour permettre aux participants de chanter les cantiques et dire des prières largement oubliées par cette foule de possédants. Des fleurs blanches partout, comme il se doit, et des guirlandes de petites flammes blanches en papier.

     

    Afin d’éviter tout équivoque, Jade Retaudy a exigé qu’aucune des quatre demoiselles d’honneur n’aie plus de six ans. De petites frimousses innocentes vêtues de robes de satin blanc et portant des paniers d’osier éparpillent sous les pas des futurs époux des pétales de rose blanches.

    Nous remarquerons l’aspirant lieutenant en grand uniforme de Saint Cyr qui de sa présence souligne la touche patriotique de la famille. Deux députés un sénateur, un bâtonnier et un grand maitre de loge représentent la facette politique des invités.

     

    D’abord la messe par le chanoine Labatie cousin de maman Jade née Labatie.

    La chorale du pensionnat qui a si mal éduqué Marcelle, chante à capella, Agnus Dei, Alléluia, le magnificat et le Gloria. Pour la messe des morts ce sera lors de l’enterrement de la doyenne de la famille qui ne saurait tarder compte tenu des courants d’air sur ce parvis.

    Entre deux chants, un jeune prodige nous offre au violon un extrait de Johann Sébastien Bach qui fait pleurer les mamans et bailler les jeunes têtes blondes. Puis les époux sont rejoints par les témoins et le petit cercle ainsi formé satisfait aux questions du prêtre

    — Mademoiselle Marcelle Noémie Adélaïde consentez-vous bla bla bla …

    Une larme de bonheur est effacée par le mouchoir de broderie prévu à cet effet avant le oui fatidique

    — Monsieur Constantin Léon Alfred Bla bla bla…

    Constantin triture ses gants beurre frais et réussi un oui sonore sans presque bafouiller.

    — Au nom de la sainte église je vous marie peut être pour un instant de bonheur et le pire le reste du temps jusqu’à ce qu’une décision de justice fasse resurgir le contrat signé par prudence avant la cérémonie en mairie. Les anneaux sont échangés et le chanoine autorise alors le couple à se donner le premier baiser.

     

    Servi dans les jardins sur des longues tables décorées de fleurs artificielles, un banquet régale la pléthore d’invités. Les dames papotent les enfants font des bêtises.

    Après un discours du chanoine Labatie sur la satisfaction de Dieu quand il voit des jeunes gens aussi bien assortis s’unir pour fonder une famille chrétienne, des ballons au bout d’un ruban blancs sont distribués à l’assistance et au signal de l’abbé les ballons montent au ciel poussés par le vent en se dandinant comme des spermatozoïdes courant vers leur destin.

    Les enfants applaudissent et la mère de la mariée écrase une larme de circonstance.

     

    Perchés sur de superbes chevaux, les trompes de chasse dont la famille Retaudy est bienfaitrice nous interprètent, en costumes rouge et bottes de cuir, avec brio et maestria l’air de « La marquise de Champigny de Charles Vélot » et pour finir « la Royale. ».

     

    Je songe au noble Constantin les soirs où l’orage s’approche, debout sur le balcon de sa chambre face au parc. Il vient de décrocher le cor de chasse de ses aïeux. Alors debout et stoïque face à une nature implacable et sauvage qui nous le rend bien, d’un puissant souffle de sa poitrine bombée il entonne « La Royale » pour rappeler au logis sa volage compagne.

     

    L’assistance de basse extraction part vers son destin pendant que les intimes se regroupent discrètement à l’intérieur du château pour le repas suivi du bal de la mariée.

     

    Je vous passe les politesses guindées des deux familles, déjà les dissensions se remarquent par le clivage des groupes. Les Retaudy de chez madame mère, les amis russophones de la belle Josette, les Saujon du père et du fils, tout ce petit monde se fait des sourires mais se méprise souverainement. On se reproche la boue des caniveaux qui vous ont vu grandir ou la petite cuillère en argent de vos premières bouillies. Le seul ciment de cette assemblée c’est un papier signé et qui va dormir dans les coffres respectifs des deux parties. Au moindre litige il sera évoqué comme les tables de la loi que personne n’osera briser sinon les deux notaires …

     

    Le seul qui s’amuse vraiment et sans arrières pensée c’est Athanase le peintre contemporain. Il s’affiche toujours avec des greluches excentriques. Ses œuvres érotico-avant-gardistes ont obligé la famille Retaudy à lui faire prendre un nom d’emprunt pour protéger leur réputation. Comme le marché de l’art est florissant le drôle se permet de rouler en Rolls et de porter des costumes tapageurs quand il vient les narguer dans les fêtes de famille.

     

    Pour le repas rien à dire, « classic-de-chez-classic ». Pas une faute de gout. Peut-être un peu trop de crème fraiche dans les gratins dauphinois mais, quand on aime, on ne compte pas.

     

    Constantin, élégant et empoté comme un pingouin, après quelques courbettes devant la mariée, se force à la faire valser pour ouvrir le bal. Dans un coin j’empêche Isabelle de pouffer d’un rire nerveux.

    — Voyez-vous le cancrelat sur la marguerite !

    — Isabelle un peu de charité chrétienne c’est nos amis.

    — Arrête j’imagine l’éducation des rejetons s’ils en font.

    — Mais ils en feront c’est certain. Cette fortune ne peut pas retourner à l’état ce serait indécent.

    — Comme on dit à la campagne, son petit capital, elle va le garder longtemps.

     

    Les couples se forment et les futures unions s’ourdissent Le beau militaire a du succès auprès des dames mariées. Georges semble hautement intéresser un des députés. Françoise et Maurice n’ont pas été invités. Peut-être un oubli quoi que dans ce milieu rien ne s’oublie.

    Au hasard d’une danse je valse avec Josette.

    — As-tu mis ta culotte mauve ?

    — Celle-là après un usage ininterrompu d’un mois j’aurais dû te la faire bouffer.

    — Je ne savais pas que tu changeais si souvent tes sous-vêtements.

    La valse finit et Josette disparait de ma vue et de ma vie pour toujours.

     

    Le grand maitre et le bâtonnier sont en grande discussion avec l’ami Georges qui ne trouve pas d’attrait à la danse.

    Le bâtonnier fait signe au député de venir se joindre à eux.

    — Cher ami, je vous présente Georges Saujon. Vous qui cherchiez un suppléant, j’ai pensé…

    — Je suis charmé de faire votre connaissance mais j’ai beaucoup entendu parler de votre pauvre père. Bla bla bla…

     

    Le petit jour chasse les derniers danseurs qui, en fait, agglutinés en petits comités, parlent de politique et de sports mondains. Pendant ce temps l’orchestre épuise ses dernières forces

    Il y a longtemps qu’un taxi a emporté les jeunes époux vers la gare. Confortablement installés dans un wagon-lit, la jeune mariée soigne ses pieds meurtris par des souliers trop neufs pendant qu’endormi par les multiples coupes de champagne, qu’il a dû ingurgiter avec ses invités, le sémillant époux rêve à la madone des sleepings,

    Dans ce wagon de l’Orient-express ils commencent bien tristement leur vie de couple. Première étape l’incontournable Hôtel Bucintoro de Venise où madame Retaudy mère avait jadis passée sa lune de miel. Elle se souviendrait toute sa vie de la chambre 204. La fenêtre d’angle, les boiseries de chêne blond, les marbres des salles de bain et la vue sur la lagune nonchalante en opposition aux vaporettos agiles, empressés, repartant vers les canaux.

     

    Pauvre Constantin, avec Josette comme belle-mère et Marcelle comme épouse il a du mouron à se faire. Je ne suis pas devin mais je peux vous dire que rien ne lui sera épargné.

     

     

    Que vous dire du mariage de Nadège et Bruno ! Il s’est, déroulé dans la plus stricte intimité Les parents, un oncle pasteur dans l’Alsace profonde et Popeye, l’ami d’enfance de Bruno. J’étais un témoin Sabrina l’autre et représentait le nouveau monde

    Le voyage de noce s’est fait à Saint Jacques de Compostelle. Au retour Bruno s’est retrouvé habillé en vigile, Lise à la caisse de l’entrée de la nouvelle superette de papèterie. Nadège se charge de la gestion quant au petit coq avec sa Liliane ils poussent un chariot pour approvisionner les rayons.

    Bruno a laissé le soin de ses « bêtes à cornes » à Popeye, et le paintball ce sera pour les grandes vacances si on peut fermer la boutique huit jours.

     

    Mon idylle avec Lise s’est terminée avant de commencer vraiment les amours de collégienne ne vont souvent pas plus loin que les examens de fin d’année. Sabrina est retournée aux States quand à Guy entre deux tournois il se partage entre sa « Maamann » et Armande qui lui donne la réplique au fond du court et au fond de son alcôve ensuite.

     

    Le langage des bêtes c’est facile à comprendre, il suffit de les regarder dans les yeux et de se mettre à leur place. Maintenant, pour sa sortie matinale, je promène  Miaou-miaou. Je lui ai offert un collier de cuir rouge clouté de pointes de fer avec une tête de molosse en médaillon. Depuis  ses complexes se sont envolés et quand il s’éloigne je l’appelle « Tanngrisni *! Ici » Je fais claquer la laisse de cuir. Les quelques chiens en promenades n’en mènent pas large et le freluquet au petit caniche abricot passe avec un regard circonspect. En fin de course nous nous permettons de faire un arrêt devant la porte du Danois et Tanngrisni dépose sa dernière pisse sur le platane préféré du molosse.

    *Tanngrisni Animal tirant le char de Thor

     

    Fin

     


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